Yvonne, princesse de Bourgogne, la pièce du dramaturge polonais Witold Gombrowicz créée en 1957, a donné lieu à plusieurs adaptations, tant chorégraphiques que musicales. Celle de Philippe Boesmans, compositeur belge auquel on doit quelques œuvres lyriques intéressantes (comme sa Julie, d’après Strindberg) a été créée en 2009 : elle est reprise en ce moment à l’Opéra de Paris et, alors qu’elle n’a que onze ans, elle semble en avoir cent ! Il y a quelque chose de terrible à entendre se dérouler cette musique sans chair, sans énergie, éparpillée dans une absence de continuum, dépourvue du moindre rythme dramatique. Au troisième acte, le Roi et le Chambellan s’écrient ensemble « On s’embête. On s’embête. On s’embête », le Roi allant même jusqu’à « On s’emmerde » : c’est la mise en abyme de ce que ressent le spectateur ! Il suffit d’ailleurs d’entendre la maigreur quasi anorexique des applaudissements à la fin de chaque acte pour mesurer l’ennui du public… Pourquoi donc ce ratage alors que toutes les conditions ont été réunies par l’Opéra de Paris pour donner sa chance à l’œuvre : des décors vastes et superbes de Richard Peduzzi, des costumes riches et colorés de Milena Canonero, une direction d’acteurs très fouillée signée de Luc Bondy (reprise par une de ses assistantes), et par-dessus tout une superbe distribution vocale, le tout placé sous la direction ferme de Susanna Mälkki ?
Si l’on reprend depuis le début, on a d’abord une pièce forte, ironique, grinçante, qui pose nombre de questions sur l’appréhension de la beauté, de la normalité, de la différence agissant comme révélateur de la cruauté sociale. Qu’y retrouve-t-on dans le livret de l’opéra ? Une simple esquisse qui réduit les personnages à des pantins, des caricatures sans épaisseur, aux relations quasiment inexistantes. Qu’y retrouve-t-on dans le spectacle lui-même ? Une sorte de ballet qui tourne à vide, sans parti-pris dramaturgique, ne sachant jamais faire exister Yvonne (Dörte Lyssewski), devenue simplement une sorte de sale gosse un peu encombrante, et ne donnant à aucun personnage une expressivité individuelle, laissant la pelote se dévider sans essayer de tricoter quelque chose qui ferait sens. Car une direction d’acteurs, aussi travaillée soit-elle, ne peut donner aux personnages une existence que l’opéra leur refuse !
Alors, bien sûr, les chanteurs tentent de défendre avec conviction cette morne partition – et l’on est heureux d’entendre sur la scène de l’Opéra de Paris la somptueuse voix sensuelle de Béatrice Uria Monzon ou la basse exceptionnelle de Jean Teitgen, tout comme on apprécie les prestations vocales de Julien Behr, Antoinette Dennefeld, Laurent Naouri et tous les autres, chacun ayant à cœur d’essayer de faire vivre cette partition. Mais si l’on souhaite retrouver ici, à l’Opéra de Paris, toutes ces magnifiques voix françaises dans des ouvrages du répertoire où elles trouveraient mieux à s’illustrer, on demeure attristé d’un tel gâchis : tant de moyens réunis pour une musique mort-née ! Car c’est là le problème : cette musique plombée par une grisaille uniforme n’existe quasiment jamais ! Même l’ « air » de la Reine Marguerite, au texte plat et sans ressort, n’arrive pas à surnager, en dépit des efforts de Béatrice Uria Monzon. C’est donc une reprise pour rien tant cette œuvre ne mérite que l’oubli !
07 mars 2020 | Imprimer
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