Premiers accords de l’ouverture, le lourd rideau de velours rouge de la Royal Opera House laisse passer six personnages issus d’une représentation en costumes d’époque d’un Cosi fan tutte qui viendrait de s’achever. Sous les rires du public, les chanteurs viennent saluer, imitent les révérences grandiloquentes, et autres mains sur le cœur faussement humbles de nos divas et divos favoris. Le ton est donné, dans la lignée de ces backstage musicals typiquement anglo-saxons, c’est côté coulisses que nous entraîne le metteur en scène allemand Jan Philipp Gloger (dont la mise en scène du Vaisseau fantôme fait les beaux jours du Festival de Bayreuth depuis 2012) pour sa première collaboration avec la maison londonienne.
Echappé d’une production plus classique, un Don Alfonso en redingote est rejoint par deux jeunes spectateurs venus à l’opéra avec leurs compagnes et c’est sur ce mélange des genres que commence une gigantesque mascarade sous forme de partie de cache-cache géante organisée dans les coulisses de Covent Garden.
Così fan tutte © ROH 2016. Photo Stephen Cummiskey
Corinne Winters, Sabina Puértolas, Angela Brower
dans Così fan tutte © ROH 2016.Photo by Stephen Cummiskey
Si le parti pris initial ne parait pas follement original, la direction d’acteurs vive et inventive rattrape la banalité de la proposition. Et l’on s’amuse volontiers de quelques astuces de déguisements et de décor, tandis que le plateau révèle petit à petit de belles surprises visuelles, notamment une tentation d’Eve version hollywoodienne ou un pastiche d’opéra baroque dont les toiles peintes et les robes à paniers tranchent avec les tenues des ploucs venus prendre des selfies dans les couloirs de la royale maison. Car autant le dire, si Ferrando et Guglielmo sont du genre naïf, leurs compagnes, elles, sont des dindes. Mais des volatiles fort bien chantants il faut l’admettre, entre la blonde Dorabella d’Angela Brower, à la voix claire et bien projetée et la brune Corinne Winters (Fiordiligi) qui l’emporte à l’applaudimètre grâce à un courageux « Per pieta » au IIe acte, bienvenu pour rattraper les quelques défaillances évidentes révélées un peu plus tôt dans les graves du « Come scoglio ».
Pas beaucoup plus chic, Despina quant à elle – la soprano Sabina Puértolas, voix gracieuse et jeu espiègle – se fait piquante en serveuse de bar sexy, et convertira bientôt les jeunes femmes timides à ses mœurs libérées.
Côté mâles, si le baryton italien Alessio Arduini campe un Guglielmo des plus plaisants, grâce à un sens du théâtre évident, et Johannes Martin Kränzle un Don Alfonso de caractère, c’est de loin le ténor Daniel Behle qui marque les esprits en interprétant un tout premier Ferrando des plus mémorables. Après un « Un aura amorosa » d’une grande tendresse et particulièrement recherché dans les nuances et le phrasé, ce dernier révèle une puissance et une énergie inattendue dans le « Tradito, schernito » de la deuxième partie.
A la baguette, Semyon Bychkov, quoiqu’un peu froid, parvient néanmoins à trouver de belles couleurs et surtout à maintenir un équilibre parfait, non seulement entre la fosse et le plateau, mais aussi entre les voix elles-mêmes, condition sine qua non pour Cosi fan tutte, opéra d’ensembles s’il en est.
Enfin, l’on adressera une mention spéciale au public britannique qui prouve au parisien qui l’avait oublié qu’il est tout à fait possible à l’être humain de ne pas tousser pendant trois heures. Pour grossir les rangs bien élevés de cette nouvelle production londonienne, deux solutions s’offrent au mélomane français : se rapprocher de son cinéma, puisque la représentation du 17 octobre sera retransmise en direct dans les salles obscures ou prendre l’Eurostar et, dans ce deuxième cas, on n’oubliera pas d’aller boire une coupe de champagne sur la terrasse du 3e étage avant la représentation. So chic !
Cosi fan tutte de W.A. Mozart jusqu’au 19 octobre et le 17 octobre en direct au cinéma dans le cadre de la ROH Live Cinema Season.
24 septembre 2016 | Imprimer
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