À l'Opéra de Dijon dans l'Uomo Femina, l'homme est une femme comme les autres !

Xl_mir3116-uomo_femina__c__mirco_magliocca_opera_de_dijon © Mirco Magliocca Opera de Dijon

En coproduction avec l'Opéra de Caen et l'Opéra de Versailles, l’Opéra de Dijon propose jusqu’au 9 novembre L’Uomo Femina de Baldassare Galuppi. Un événement puisqu’il s’agit là d’une véritable renaissance et même une recréation, l’œuvre étant tombée dans l’oubli et n’ayant pas connu de mise en scène depuis qu’elle a été exhumée en 2006. Si le nom du compositeur – inconnu du grand public – n’a pas forcément de quoi attirer le tout-venant, sa thématique d’une incroyable modernité ne peut que piquer la curiosité.

Représenté pour la première fois en octobre 1762 au théâtre vénitien de San Moisè, l’œuvre « connut un certain succès et fut repris six ans plus tard au Teatro della Cava de Pavie. La partition, considérée comme perdue, fut retrouvée en 2006, à la Bibliothèque du Palais d’Ajuda à Lisbonne, en parfait état de conservation, à l’exception de trois airs manquants » (selon Jean-François Lattarico dans le programme de salle). De prime abord, l’intrigue parait somme toute banale mais se révèle plus originale : sur une île inconnue échouent deux naufragés, qui découvrent la vie et l’organisation de cette société autochtone, sur fond d’histoire d’amour et de rebondissements à la deux ex machina avec la découverte d’une filiation improbable ou presque terriblement pratique. La grande originalité – surtout pour l’époque de la création de l’opéra – est que cette société est une société matriarcale. Ici, les femmes dirigent et les hommes se soumettent, rappelant le mythe des Amazones. Avec nos yeux modernes, on se régalait d’avance de la critique qu’une telle vision peut engendrer, mais dans les faits, les sexes ont « simplement » été inversés : les femmes ont des caractères attribués généralement aux hommes, comme la « virilité » ou la soif de conquêtes amoureuses et sexuelles, tandis que les hommes ont un caractère « féminin », à la fois frivoles, fragiles, jaloux ou encore futiles. Une façons de montrer que la patriarcat ne vient pas véritablement de la force naturel d’un sexe mais de sa position dans sa société renforcée par la suite grâce au pouvoir que cela lui confère.

L'Uomo femina, Opéra de Dijon (2024) © Mirco Magliocca Opera de Dijon
Eva Zaïcik (Cretidea) et Victor Sicard (Roberto) © Mirco Magliocca Opera de Dijon

Roberto et son valet Giannino échouent donc sur cette île où ils sont sauvés par Ramira et Cassandra qui les trouvent à leurs goûts. Toutefois, la reine Cretidea abuse quelque peu de son pouvoir pour s’emparer des hommes qui lui plaisent, ce qui est le cas de Roberto. D’autant plus que la société décrite par les naufragés ne cesse d’étonner les femmes de l’île, les rendant particulièrement exotiques. Totalement amoureuse de l’homme, elle refuse de le laisser à Cassandra qui, face à cette injustice, ose se rebeller contre le pouvoir royal. Finalement, l’on découvre que les sentiments l’unissant à Roberto ne sont pas amoureux mais fraternels, et qu’elle est sa jeune sœur disparue des années plus tôt et échouée sur l’île où elle fut recueillie avec bienveillance par Cretidea. Une situation qui lui permet de récupérer son Roberto, qui refuse toujours de se soumettre à une femme. Finalement, les négociations ont lieu et par amour, la reine accepte de céder son pouvoir à celui-ci s’il accepte d’être son époux et de lui être fidèle. Lors du chœur final résonnent néanmoins les paroles suivantes : « qui a du bons sens comprendra ce que l’auteur a voulu dire ». Une déclaration mystérieuse qui invite à un « inversement proportionnel » de ce que nous avons vu et entendu, ou bien seulement de ce dénouement avec l’invitation à penser qu’en réalité, la femme, même sans sceptre, détiendra en réalité toujours le pouvoir...

L'Uomo femina, Opéra de Dijon (2024) © Mirco Magliocca Opera de Dijon
L'Uomo femina, Opéra de Dijon (2024) © Mirco Magliocca Opera de Dijon

Pour la redécouverte de cette œuvre inconnue, Agnès Jaoui ne plonge pas dans une modernisation de l’œuvre mais l’ancre plutôt dans l’Antiquité, nous rapprochant des Amazones plus que dans une actualisation à outrance. En faisant ce choix, elle relève d’autant plus la modernité du livret et le décalage de cette société utopique qui se heurte à celle patriarcale des deux hommes – encore plus patriarcale à l’époque qu’aujourd’hui. Néanmoins, les costumes magnifiques – de Pierre-Jean Larroque – n’hésitent pas à mêler plusieurs époques pour un résultat superbe ou pantalons et drapés / robes se complètent. Les cuirasses des soldates dévoilent la forme des poitrines tandis que les deux figurants masculins qui suivent Gelsomino portent robes et fards à outrance. Le résultat est relativement caricatural mais paradoxalement bien dosé pour ne pas aller dans l’excès. On note toutefois une direction d’acteurs qui semble un petit peu faible et donne l’impression que les solistes sont un peu livrés à eux-mêmes durant leurs airs.

Le plaisir est par ailleurs entier concernant ces derniers. Il faut dire que le plateau a de quoi ravir à sa simple évocation ! Lucile Richardot nous gratifie d’une projection tout aussi ample que la palette de couleurs ambrées qu’elle fait miroiter à chacune de ses interventions. La voix est ronde, solide, charnue et toujours aussi envoûtante. Sa Ramira convainc pleinement, notamment dans sa mesure et sa diplomatie, ménageant la chèvre et le chou. C’est à se demander si elle ne choisit pas Giannino, qui n’est pas très beau, en sachant que celà lui garantira de pouvoir le conserver. Le tempérament de feu demeure présent, ainsi que sa virilité féminine que la cantatrice transmet parfaitement. À ses côtés, la Cassandra plus gracile de Victoire Bunel s’impose légèrement moins mais ne démérite pas pour autant. La ligne est plus solaire, et sa conviction d’interprétation pleine et entière. Toutefois, il faut rendre à la reine ce qui lui appartient : Eva Zaïcik offre à Cretidea un écrin de premier choix, tant scéniquement que vocalement, avec des graves impétueux et une fragilité amoureuse savamment maîtrisée. Elle porte haut sa couronne, délivrant des couleurs chatoyantes dans une ligne de chant adroite et résolue. Trois mezzo-sopranos donc, mais qui marquent par leurs voix particulièrement distinctes les unes des autres.

L'Uomo femina, Opéra de Dijon (2024) © Mirco Magliocca Opera de Dijon
L'Uomo femina, Opéra de Dijon (2024) © Mirco Magliocca Opera de Dijon

Quant au sexe faible, il est ici représenté avant tout par le Gelsomino d’Anas Seguin, caricatural et drôle – on retient notamment son air « Tic Toc ». Il sait jouer de sa féminisation, poussant quelques cris, se montrant précieuse à souhait. Mais s’il brille par sa fragilité et son caractère de « petite chose » dans son jeu, sa voix de baryton demeure pour sa part solide et grave à souhait. Victor Sicard incarne de son côté Roberto, aux côtés de son fidèle Giannino qu’est François Rougier. Le premier laisse éclater de belles nuances chez cet homme qui n’est pas prêt à devenir roi si c’est sa reine qui gouverne. Les accents solaires de la voix se mêlent à la caricature qu’offre le livret pour un bel équilibre, tandis que le second des deux hommes laisse éclater avec art le côté bouffon de son personnage sans que la voix n’en pâtisse ou ne soit oubliée.

Enfin, dans la fosse, Vincent Dumestre à la tête du Poème Harmonique dévoile cette partition et la fait briller avec éclats. Les couleurs sont variées, nuancées, et se déversent avec un équilibre savant et pétillant toute la richesse de la partition.

On se réjouit donc de cette découverte malgré un travail scénique qui pourrait être plus poussé encore mais qui a le mérite de ne pas dénaturer l’œuvre qu’il sert. La musique demeure présente dans la réflexion proposée, et reste la grande gagnante, servie par une fosse et un plateau vocal méritant tous les éloges. 

Elodie Martinez
(Dijon, le 7 novembre 2024)

L'Uomo femina à l'Opéra de Dijon jusqu'au 9 novembre, puis à Caen les 15 et 16 novembre et à Versailles les 13, 14 et 15 décembre 2024.

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