Il y a maintenant quatre ans déjà, l’Opéra de Montpellier créait la production du Voyage dans la Lune passée depuis par de nombreuses villes. A l’époque, nous avions eu la chance et le plaisir d’y assister depuis une salle malheureusement interdite au public pour les raisons sanitaires liées à la pandémie de Covid. Le retour de la production sur la scène montpelliéraine est donc un plaisir renouvelé et amplifié auquel nous avons pu goûter hier soir.
Nous ne reviendrons pas en détails sur la mise en scène jouissive d’Olivier Fredj, toujours aussi plaisante, drôle et amusante. Le rire, la féérie et la magie opèrent toujours, peut-être presque davantage encore aujourd’hui. Le rythme extrêmement soutenu de la soirée qui ne cesse d’enchaîner les tableaux, les dialogues, les ballets, ou encore les gags sur fond de ce tournage de film embarque le public et ne le lâche pas. Dès le lever de rideau, Yoann Le Lan endosse le costume de régisseur de plateau / réalisateur et aboie ses ordres sur tout ce qui bouge – et même ce qui ne bouge pas ! Il s’énerve à plusieurs reprises sur le chef d’orchestre qui n’est toujours pas arrivé, et n’hésite pas à s’adresser également au public afin de lui rappeler d’éteindre les téléphones portables. Une entrée en matière amusante et dynamique qui donne derechef le ton !
Le Voyage dans la Lune, Opéra Orchestre National Montpellier (2024) © Marc Ginot
Tout comme il y a quatre ans, on se délecte de l’humour général et l’on rit, notamment devant le roi Cosmos rentrant entièrement dans son costume telle une tortue dans sa carapace lorsque sa fille pousse des vocalises, ou bien devant la Popotte l'éponge savoureusement interprétée par Marie Lenormand, la caissière hautement désagréable et désabusée de la vente aux enchères, la cour de justice davantage cour des Miracles, les costumes énormes et cocasses entre couronnes disproportionnées autour de la tête de V’lan, les chaussures énormes en bâtons de marche, la lampe qui s’allume et s’éteint de Flamma, le petit bonhomme de neige gonflable, les sortes de sous-vêtements en fausse fourrure sur les danseurs, etc. Les trouvailles se multiplient et ne lassent jamais, même en les ayant déjà vus.
Côté plateau, nous retrouvons certains noms déjà entendus, mais aussi de nouveaux venus. Si nous étions déjà enthousiaste concernant Sheva Tehoval, nous avons cependant eu l’impression de la redécouvrir hier soir tant elle nous a impressionné en Fantasia. Les vocalises sont fabuleuses, la ligne de chant est puissante et légère, les graves sont assumés et accomplis, et la soprano s’amuse même à jouer d’une voix rocailleuse lorsqu’elle s’énerve. Les mimiques dont elle fait preuve sont un régale de comique et l’on savoure chacune de ses interventions. Nous retrouvions également Thibaut Desplantes en Cosmos bien rond, à la projection et à la déclamation toujours aussi altières. La rondeur du costume se retrouve dans la voix, également chaude et solaire. Comme dit plus haut, son épouse est à nouveau interprétée par Marie Lenormand, toujours aussi savoureuse en éponge émancipée qui aura pour dernier mot, celui de la vengeance.
Le Voyage dans la Lune, Opéra Orchestre National Montpellier (2024) © Marc Ginot
Venus tout droit de la Terre, le prince Caprice est cette fois-ci campé par Marie Perbost, qui s’empare du rôle avec ses deux énormes chaussures au bout de bâtons et son amour nouveau pour Fantasia. La voix est toujours riche, avec des aigus à décoiffer, puissants et tenus. La prononciation est parfois malheureusement approximative dans les parties chantées, ce qui est dommage mais il y a tant de positif dans son interprétation que l’on ne s’arrêtera pas là-dessus. Florent Karrer incarne pour sa part le roi V’lan avec énergie et conviction. Si sa première intervention laissait planer le doute sur sa projection, on se laisse finalement porté par sa voix harmonieuse.
Carl Ghazarossian et Christophe Poncet de Solages sont de leurs côtés les deux conseillers Microscope et Cactus, tous deux très investis et efficaces, de même que la Flamma de Jennifer Michel. Toutefois, celui qui brille tout particulièrement dans cette constellation lyrique, c’est Yoann Le Lan qui multiplie les rôles : outre celui déjà mentionné plus haut, il est une caissière formidable, un dealer de poudre blanche, une hôtesse de l’air... ou encore le Prince Quipasseparlà. Ce dernier personnage lui permet d’enfin nous faire entendre sa voix chantée et montre qu’il est capable de déployer le même talent dans la comédie que dans le drame. Le chant est lumineux, puissant, ambré, miroitant et solide. Encore une fois, on aimerait que la partition permette de l’entendre davantage.
Le Voyage dans la Lune, Opéra Orchestre National Montpellier (2024) © Marc Ginot
En fosse, Victor Jacob déploie le caractère mirifique de la partition d’Offenbach. Le feu d’artifice est complet, enchaînant les couleurs, le rythme et l’émerveillement d’un bouquet final... qui commencerait dès le début de l’œuvre jusqu’à sa dernière note ! La musique rebondit de pupitre en pupitre avec une énergie folle, sans jamais que la qualité n’en pâtisse. Après tout, « le rire est une chose sérieuse » comme disait Raymond Devos, et il est ici traité avec tout le sérieux et l’art nécessaires à l’amusement ! Quant aux chœurs de la maison – toujours préparés par Noëlle Gény –, ils offrent une prestation plaisante, mais on note tout de même que celui des hommes manque plus particulièrement de netteté dans les attaques, ce qui s’entend tout particulièrement dans le chœur des astronomes avec l’enchaînement de mots seuls les uns après les autres.
Si l’on peut parfois s’interroger sur l’utilité ou la nécessité de revoir un spectacle déjà vu, même quelques années plus tôt, ce Voyage dans la Lune offre une réponse joyeusement positive : oui, certaines productions méritent d’être vues encore et encore, offrant à chaque fois de nouvelles sources de joies. Et ce qui est certain aussi avec cette production, c’est qu’aussi réussie fut-elle il y a quatre ans, elle ne l’est que d’autant plus aujourd’hui, forte de sa tournée... et de trouver enfin son public à Montpellier !
Elodie Martinez
(A Montpellier, le 15 décembre 2024)
Le Voyage dans la Lune, à l'Opéra de Montpellier jusqu'au 22 décembre 2024.
17 décembre 2024 | Imprimer
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