© C. Merle
Ainsi que nous vous l’annoncions il y a quelques temps, la 68e édition du Festival de musique de Menton se déroulait du 28 juillet au 13 août, date à laquelle il s’est clôt par un récital de Marie-Nicole Lemieux, la célèbre contralto québécoise (qui tend toutefois de plus en plus vers le mezzo-sorpano, comme l’indique par ailleurs le programme papier du festival), accompagnée par l’ensemble Il Pomo d’Oro dirigé par Maxim Emelyanychev.
Pour ce récital de clôture, c’est Anna Girò qui était mise à l’honneur. Cette mezzo-soprano italienne, de son vrai nom Anna Maddalena Tessieri, est née autour de 1700 et fut la muse d’Antonio Vivaldi. Elle créa notamment les rôles de Tamiri dans Farnace, Alcina dans Orlando furioso, Elpina dans Fida ninfa, Griselda dans l’opéra éponyme ou encore Asteria dans Bajazet. On ne s’étonnera donc pas de retrouver des extraits de ces opéras au cours de la soirée.
Après avoir été une merveilleuse Carmen en janvier et février dernier au Théâtre des Champs-Elysées (lire notre chronique) et une Cassandre mémorable à Strasbourg en avril, Marie-Nicole Lemieux ne laisse aucun doute sur sa capacité à maîtriser parfaitement le registre de mezzo-soprano. Les aigus sont parfaitement tenus, les mediums nets et les graves d’une profondeur ambrée qui ne laissent pas indifférents. Ces caractéristiques se retrouvent dans cette ultime soirée du festival, bien que certains airs réussissent mieux à l’artiste que d’autres. Cette dernière paraît d’ailleurs légèrement gênée durant la soirée, se tournant pour se racler la gorge entre plusieurs airs. Malgré cela, l’ensemble du récital enchante le public, toujours charmé par cette voix exceptionnelle.
Le programme s’ouvre avec « Dite che v’ho fatt’io » de Farnace dans lequel Marie-Nicole Lemieux laisse entendre de véritables sanglots avant de clore le récitatif et l’air d’Asteria « E morto, si, tiranno » extrait de Bajazet en riant, révélant toute la sympathie et la joie qui la caractérisent tant, une fois que les dernières notes ont fini de résonner dans les airs. La première partie se clôture par deux extraits d’Orlando furioso, un répertoire qui semble mieux convenir à la cantatrice, qui le maîtrise manifestement davantage que les premiers airs interprétés -- le chant est ici davantage lié que précédemment, mais il faut dire aussi que la partition s’y prête mieux.
Après l’entracte, Marie-Nicole Lemieux poursuit cette soirée Vivaldi avec deux airs de Griselda, « Brami le mie catene » et « Infelice Griselda » où la place laissée au récitatif permet l'expression d'une voix extrêmement proche du parlé. Enfin, un court extrait de La Fida Ninfa laisse entendre Elpina (« Aure lievi che spirate »), rôle qu’elle connaît pour l’avoir enregistré chez Naïve sous la direction de Jean-Christophe Spinosi aux côtés, entre autres, de Sandrine Piau et Philippe Jaroussky (voir sur le site officiel). Un dernier extrait d’Orlando furioso résonne ensuite, « Oh ingiusti numi ! Andero, chiamero dal profondo », et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne peut pas reprocher à Marie-Nicole Lemieux de ne pas travailler sa prononciation ! Suivront trois bis, malgré l’allergie aux lys que l’on vient de lui apporter, et bien que la cantatrice avoue qu’ils n’en avaient prévu qu’un seul. L’occasion pour le public de partager réellement un moment avec la québécoise, qui se laisse aller à une grande complicité avec la salle, discutant en italien avec un spectateur, jouant avec le chef et suscitant le rire dans la salle... Le dernier de ces bis, imprévu donc, n’est autre que « Lascia ch'io pianga », laissant Vivaldi de côté le temps de quelques minutes pour le plus grand plaisir du public qui gratifiera la contralto / mezzo-soprano de deux standing ovations !
Afin de l’accompagner dans cette soirée Vivaldi, l’Ensemble Il Pomo d’Oro se trouvait placé sous la direction du jeune chef russe Maxim Emelyanychev. Ces derniers étaient déjà présents au festival l’an passé, alors pour accompagner Patrizia Ciofi lors du concert d’ouverture. Ce soir, le maestro se montre extrêmement dynamique (peut-être parfois un petit peu trop, ses coups de pied dans le sol se faisant entendre par moments) et l’ensemble paraît manquer de répétitions avec l’artiste : s’ils l’accompagnent bel et bien durant ses airs et récitatifs, leur niveau d’exécution n’a cependant rien à voir lorsqu’ils font entendre les deux concerti de la soirée. Le premier, le Concerto pour violon en Ré majeur, est admirablement exécuté par le premier violon (dont le nom ne ressort malheureusement pas du programme), plein de nuances et de vie, le tout dans une belle osmose avec le reste de l’ensemble. Le second, le Concerto n°10 pour 4 violons en si mineur extrait de l’Estro Armonico, amène à modifier la disposition de l’ensemble et confirme l’homogénéité du premier.
Une très belle fin de festival qui a enchanté le public, le tout dans le cadre féérique du parvis de la basilique Saint-Michel Archange qui offre une acoustique de plein air exceptionnel et un quatrième mur unique au monde : une vue en hauteur et dégagée sur l’océan et le ciel. Vivement l’été prochain !
Elodie Martinez
16 août 2017 | Imprimer
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