Vendredi dernier marquait l’ouverture de saison 2018-2019 de la Scala de Milan, le 7 décembre, jour de la Saint Ambroise comme le veut la tradition. Pour cet événement important qui concentre tous les regards du monde lyrique, la mythique maison italienne a opté pour Attila – un drame puissant donné dans le cadre d’un triptyque d’œuvres de jeunesse de Verdi débuté en 2015 avec Anna Netrebko dans le rôle-titre de Giovanna d'Arco (on en rendait compte) et en attendant Macbeth qui suivra « dans quelques années » pour clore le cycle, selon les mots de Riccardo Chailly, directeur musical de la maison milanaise et chef d’orchestre de la production. L'ambition du projet étant ici de démontrer que le jeune Verdi était déjà en pleine possession de ses capacités. Appuyée par la mise en scène saisissante de Davide Livermore (dont nous vous parlions il y a peu), la production a connu un franc succès et a ravi non seulement le public présent sur place, mais également celui devant Arte qui retransmettait la soirée.
Attila, Scala de Milan ; © Capture d’écran d’Arte Concert
Après l’hymne national italien traditionnellement interprété chaque 7 décembre à la Scala (et plusieurs minutes d’applaudissements réservées au président italien, Sergio Mattarella, garant des institutions italiennes alors que le pays est aujourd’hui dirigé par une coalition populiste), l’Ouverture donne le ton : la soirée sera grandiose. Outre la direction sur laquelle nous reviendrons plus loin, la scène nous livre un tableau digne des plus grands plateaux. La vision s’annonce d’emblée cinématographique et impressionnante. On nous avait promis une savante utilisation de technologie visuelle, nous y sommes déjà : à la machinerie faisant lentement émerger du dessous de scène tout un pont sur lequel se joue une scène figée entre des soldats armés et deux femmes se joint un écran en fond déployant le décor d’une ville en ruine dans la fumée (fumée et nuages permettant d’assombrir davantage l’atmosphère qui se dégage du reste de la scène). La prolongation est naturelle, les ruines s’élevant parallèlement au pont, de même que le sera le tableau animé lors du face à face entre Attila et le grand prêtre. Une excellence de l’utilisation de ce fond qui ne s’atténuera pas un moment, jusqu’aux derniers instants, où l’ombre du père d’Orabella apparaîtra parmi les nuages, tel son fantôme, lorsqu’il sera nommé, ou bien les souvenirs de sa mort, poursuivi par Attila, ou encore l’image de ce ciel qui « gronde au-dessus de sa tête ». Finalement, l’écran deviendra blanc, symbolisant cette « page blanche » du nouveau chapitre à écrire une fois le tyran assassiné et la vengeance accomplie.
Le caractère cinématographique de la mise en scène ne se retrouve pas uniquement dans l’usage de cet écran qui ne vient finalement que compléter avec brio la scène et ce qui s’y passe. D’ailleurs, le fond de scène sera bel et bien un décor (signé Giò Forma) – tout aussi monumental que ceux le précédant – lorsque l’action sera plus intime et se déroulera en intérieur aux deuxième et troisième actes. Les lumières d’Antonio Castro jouent avec brio de la pénombre qu’elles installent, parfois rougeâtre (lors de la scène du banquet), ecclésiastiques lorsqu’il le faut, s’accordant aux images de D-wok.
Saioa Hernández (Odabella) et Ildar Abdrazakov (Attila) ; © Teatro alla Scala
Le travail visuel de Davide Livermore enchante donc indubitablement, de même que sa direction d’acteurs que l’on sent bien présente sans jamais entraver les artistes. Ces derniers viennent d’ailleurs ajouter l’excellence vocale à celle de l’esthétique. Mention particulière pour commencer pour l’Attila superlatif d’Ildar Abdrazakov, vibrant de vérité et d’intensité, habitant avec une sincérité déconcertante ce héros guerrier, sanguinaire, fou, mais aussi amoureux et trahi. Loin de livrer une interprétation unilatérale, la voix montre avec talent toute la complexité et la profondeur de l’homme derrière le mythe. Toute aussi monumentale l’Odabella de Saioa Hernández qui faisait non seulement ses débuts dans ce rôle mais aussi à la Scala. Des débuts que le public milanais ne risque pas d’oublier tant l’investissement de la soprano est ici puissant et frappant. L’aisance dont elle fait preuve dans cette difficile partition appelle tout autant l’admiration que son jeu criant de réalisme. Le public ne s’y trompe pas et lui réserve un triomphe lors des saluts.
Loin de démériter face à ces deux talents, George Petean est un Ezio de premier ordre à la voix claire et assurée, montrant avec finesse le chemin qui le conduira à la trahison. Tout aussi impressionnants sont l’Uldino de Fabio Sartori le Leone de Gianluca Buratto qui offrent là aussi des prestations de haut vol dans ces deux rôles, tant scéniquement que vocalement. Il ne faut toutefois pas oublier ici un autre personnage extrêmement important dans l’œuvre de Verdi : le chœur, ici celui de la Scala de Milan, phénoménal dans chacune de ses interventions, jouant de nuances et d’unité.
Attila, saluts ; © Teatro alla Scala
Visuellement superbe, vocalement grandiose, qu’en est-il de la direction musicale ? Elle rejoint tout simplement la lignée de l’excellence dépeinte depuis le début dans cette nouvelle production. Riccardo Chailly aime et respecte Verdi, sa direction s’en ressent : attentif à chaque intention, à chaque pupitre, il noue avec la scène un hyménée qui parfait la soirée, modulant les effets pour atteindre une incroyable justesse de ton et d’émotions.
Une ouverture de saison qui, décidément, donne raison au monde entier de tourner encore et toujours son regard vers la Scala chaque 7 décembre. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé en offrant près de 14 minutes d'applaudissements enthousiastes à l'équipe artistique au terme de la représentation de vendredi, alors même que la traditionnelle sévérité du public milanais est proverbiale. À ne pas manquer, y compris en replay sur le site Arte Concert jusqu’au 20 mars prochain.
12 décembre 2018 | Imprimer
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