Pour susciter l’intérêt du public et construire sa réputation, le Festival de Wexford s’est fait une spécialité de produire des raretés lyriques de toutes les époques. Chaque année depuis 65 ans, des compositeurs et partitions méconnus ou oubliés sont ainsi ressuscités le temps du festival et, pendant deux semaines entre fin octobre et début novembre, la petite ville de Wexford dans le sud-est de l’Irlande s’impose comme un lieu de pèlerinage incontournable pour les amateurs d’art lyrique. Et plus encore cette année, alors qu’une nouvelle maison d’opéra, le seul opéra en Irlande, a été reconstruit pour héberger le festival.
Gaetano Donizetti est un compositeur particulièrement prolifique, qui a signé nombre d’opéras mais seuls quelques-uns ont passé les suffrages du temps et sont encore donnés régulièrement en version scénique. Aujourd’hui, des efforts sont faits pour ressusciter plusieurs de ces œuvres méconnues, tantôt pour nous rafraichir la mémoire, tantôt pour se démarquer des programmations plus conventionnelles.
Maria de Rudenz est l’un des derniers opéras du compositeur, créé en 1838 à Venise, sans grand succès – mais sans doute n’y était-il pas totalement prédestiné. Gaetano Donizetti et son librettiste ont travaillé sur différents projets, mais sans parvenir à réellement trouver la trame sur laquelle baser un nouvel opéra. Ce sera finalement La Nonne Sanglante, la pièce d’Anicet Bourgeois, un mélodrame extravaguant plein de crimes et de sang qui se révélera peu au goût du public vénitien et mal adapté dans le livret de l’opéra.
Maria de Rudenz - Festival de Wexford 2016
Maria, qui aime Corrado, a été abandonnée dans les catacombes de Rome. Alors que Maria est laissée pour morte, sa cousine Matilda qui aime également Corrado pourrait prendre la place de la disparue et s’imposer comme l’héritière du père de Maria. Maria réapparait néanmoins juste à temps dans le château de famille pour interrompre les projets de mariage qui devaient unir Corrado et Matilda, et tuer l’usurpatrice. Si Maria éprouve toujours des sentiments pour Corrado, cet amour n’est pas réciproque et il repousse son ancienne aimée même quand elle le menace de révéler qu’il est le fils d’un meurtrier condamné à être décapité.
Grâce à un concept fascinant et une réalisation finement élaborée du metteur en scène Fabio Ceresa et son équipe, la composition initiale maladroite est ici remodelée, afin d’y intégrer une dimension tantôt cynique, tantôt comique. Le parti pris de Fabio Ceresas est celui de raconter un conte de fées, dans un théâtre de marionnettes. Tout le monde sur scène apparait sous les traits d’une marionnette, certains des interprètes arborent des marionnettes sur leur robe, et des marionnettes sont disséminées ici ou là sur scène.
L’action se déroule dans le château de la famille Rudenz, aux allures de maisons de poupées, brillamment conçu par Gary McCann. Plusieurs blocs rotatifs évoluent par ailleurs sur scène pour en dévoiler les chambres ou les escaliers et créer ainsi un décor merveilleux. Giuseppe Palella y ajoute d’élégants costumes historiques tout en affublant certains personnages de masques pointus. Les crimes horribles et brutaux du livret original prennent alors ici une perspective toute nouvelle, aux accents de contes de fées : des saynètes humoristiques peuvent même y trouver leur place naturellement, et ainsi neutraliser les effets les plus sanglants – ce que tout le monde appréciera.
Le chef Andrew Greenwood propose une somptueuse narration musicale. Fluide et vive, sa direction n’étouffe jamais les chanteurs et affiche de belles couleurs italiennes dans l’interprétation. Gilda Fiume incarne une Maria très présente sur scène, non seulement du fait de son apparence, son visage maculé de sang coagulé ou son maquillage très gothique, mais aussi par son soprano dramatique très sombre, impressionnant, capable de monter dans les aigus et d’enchainer de virulents legati. Et si la coloratura manque encore un peu d’élégance, elle parvient à le cacher. Sophie Gordeladze, dans le rôle de la rivale de Maria, peine parfois à endosser pleinement le rôle de Matilda face à sa consœur – tout comme Joo Won Kang dans le rôle de Corrado : son baryton est bon mais manque encore d’expression, tout comme sa diction en italien. Avec son ténor à la fois chaleureux et rafraichissant, Jesus Garcia (en Enrico) doit faire face à son sombre destin aux côtés de Mathilde, avant de succomber au duel qui l’oppose à Corrado.
L’opéra s’achève dans l’horreur et la tristesse sur scène, mais par un tonnerre d’applaudissements dans la salle. Le concept convainc pleinement, tout comme la performance musicale.
Traduction libre de la chronique d'Helmut Pitsch
Crédit photo : Clive Barda
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