Klaus Florian Vogt et Anja Harteros : Tannhäuser au Bayerische Staatsoper de Munich

Xl_csm_lm0a2985_0ded092a42 © Opera de Munich

Il y a à la fois beaucoup et presque rien à voir ici. Romeo Castellucci est le metteur en scène italien de cette nouvelle production de Tannhäuser, particulièrement attendue et donnée à l’Opéra d’Etat de Munich dont l’histoire est intimement liée au répertoire de Richard Wagner. Romeo Castellucci esquisse ici une image forte et intense de l’œuvre, au travers d’une succession d’actes symboliques pleinement intégrés à l’intrigue, mais pas toujours clairs ni aisés à appréhender. Diplômé en scénographie et en art graphique à Bologne, Romeo Castellucci a fondé la Societas Raffaello Sanzio, sans doute l’une des compagnies contemporaines parmi les plus radicales en Europe, en plus d’avoir été primé à plusieurs reprises pour ses ouvrages ou ses productions théâtrales avant-gardistes, et son Tannhäuser (sa première collaboration avec l’Opéra d’Etat de Bavière) a suscité des réactions à la fois partagées et controversées.


Tannhäuser - Bayerische Staatsoper (2017)


Tannhäuser - Bayerische Staatsoper (2017)

Dès lors que la musique s’élève, la scénographie débute avec ce qui prend quasiment la forme d'un ballet classique, emmené par des amazones, seins nus et armées d’arcs et de flèches – en référence, littéralement, au livret dans lequel les flèches et les plaies qu’elles infligent font écho à l’amour dans le monde de Venus (Tannhäuser y apparait comme une proie chassée, piégé dans le domaine de la déesse) et où les arcs sont autant d’instruments de musique, rappelant la harpe du poète. Sur scène, ces amazones évoluent avec grâce sur les rythmes romantiques de la musique de Wagner alors que le jour se lève, le tout souligné par des projections vidéo éminemment sensuelles. Bien moins voluptueuse, mais apparaissant néanmoins comme l’expression la plus pure de la luxure, Venus est ici représentée comme un monstrueux agrégat de chairs grasses et de peau couverte de liquide visqueux – puisque selon le metteur en scène, Venus ne symbolise pas la beauté dans le livret, mais une forme de superficialité (de la peau mais sans âme, ni réelle profondeur) quand seule Elisabeth suscite le vrai désir de Tannhäuser.
Comme on peut s’y attendre, le héros Tannhäuser entend quitter le domaine de Venus pour rejoindre ses camarades de chasse (ici sanguinaires). Une dépouille déchiquetée git sur scène, alors qu’une grande installation en fond de décor exhibe un sang rouge sombre sur une plateforme rotative. Le sang de la dépouille symbolise manifestement le retour de Tannhäuser auprès de ses compagnons de chasse et frères de chant – les scènes rappellent les installations sanglantes de l’artiste autrichien Hermann Nitsch.
De retour à Wartburg, Tannhäuser retrouve Elisabeth dans le cadre du festival : un décor magnifique fait de longs rideaux évanescents, prenant le contre-pied subtile de l’image traditionnelle de la monumentale forteresse médiévale.
Enfin, le dernier acte apparait plus sombre et statique : la scène est dominée par deux tombes aux noms de Klaus et Anja – une référence aux deux interprètes principaux de cette soirée, Klaus Florian Vogt dans le rôle de Tannhäuser et Anja Harteros dans celui d’Elisabeth, qui font l’un et l’autre leurs premiers pas dans les deux rôles respectifs – et symbolisant leur destin funeste et leur rédemption finale. Mais le plus dérangeant tient sans doute à l’exhibition de la décomposition progressive des deux corps, de la chair humaine qui devient finalement poussière pour réunir les corps d’Elisabeth et Tannhäuser.


Tannhäuser - Bayerische Staatsoper (2017)

De prime abord, le public est manifestement désorienté par cette proposition scénique, affichant des réactions très diverses. Quelques huées se font d’abord entendre avant que les bravi ne les couvrent. Si l’interprétation de l’œuvre n’est pas évidente de prime abord, elle apparait subtile et souligne une approche profonde des sentiments humains, amplement soulignée par la chorégraphie harmonieuse de Cindy van Acker et la performance du Ballet de l’Opéra d’Etat de Bavière – qui est seul à être réellement mobile sur scène.

La composition des diverses images sur scène est aussi impressionnante que la direction d’acteurs est dépouillée, voire pauvre – heureusement pleinement rachetée par l’envergure de la distribution de cette nouvelle production confiée à la baguette experte de Kirill Petrenko. Une fois de plus, il fait la démonstration de son impressionnante capacité à dompter les forces d’un orchestre parfaitement préparé. Dans une large mesure, il contient la partition dans un style laissant pleinement aux chanteurs la capacité de s’exprimer de façon clair et intelligible. Christian Gerhaher est connu pour être un incroyable chanteur de Lied, et il met ici toute sa technique au service de son interprétation du rôle de Wolfram von Eschenbach. Sa célèbre adresse à l'Étoile du Soir (« Ô du mein holder Abendstern ») apparait comme un monologue intime, empreint de peine et d’admiration. Klaus Florian Vogt est tout aussi remarquable dans le périple légendaire et dramatique de Tannhäuser vers Rome. Son ténor est réputé pour son timbre d’argent scintillant, qui trouve habituellement à s’exprimer dans des couleurs lyriques plus angéliques, mais il montre ici une puissance, une intensité dramatique et une présence impressionnante, apparemment sans le moindre effort et jusqu’à la dernière note. Anja Harteros interprète déjà tous les rôles de soprano exigeant un son clair et léger. Ici, son Elisabeth défend une pureté, un respect et une foi, jusqu’à l’abandon de soi. Georg Zeppenfeld livre un landgrave Hermann sonore et majestueux. Elena Pankratova fait une Venus apocalyptique grâce à une voix haute et nette. Et une fois encore, le chœur de l’Opéra d’Etat de Bavière convainc et fait résonner la vénérable maison de ses impressionnantes capacités, parfaitement préparé par Sören Eckhoff. Au terme de la soirée, splendide salut unanime du public pour la performance musicale de cette production.

traduction libre de la chronique de Helmut Pitsch

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