Avant même que la première note soit jouée, le décor qui se dévoile sur la scène lacustre du Festival de Bregenz est à couper le souffle. Un village gothique, pauvre et délabré, dans un paysage hivernal. Un clocher émerge d'un lac en partie gelé, des corbeaux lugubres et le bruit du vent font frissonner le spectateur. Der Freischütz de Carl Maria von Weber est un modèle d’opéra populaire romantique allemand qui déborde d’idées. La mise en scène de Philipp Stölzl transforme l’ouvrage de façon habile et plutôt équilibrée, le temps d’une soirée d'opéra spectaculaire – pour autant qu'il reste quelque-chose de l'opéra. Sur le plan dramaturgique, la soirée prend davantage des allures de spectacle avec musique. Le rôle de Samiel devient celui d'un Satan omniprésent : il mène la soirée tel un présentateur – en se faufilant acrobatiquement dans le décor – et joue de fait un rôle actif dans l’action, dans son costume rouge de diable, avec cornes et queue de démon.
La soirée débute tristement par un enterrement. Agathe est enterrée au son d’une sonnerie aux morts, Max est condamné pour meurtre par le peuple et sera pendu dans la foulée. La balle magique a-t-elle tué Agathe ?
Ce n'est pas ce que dit le livret de l'opéra. Mais déjà, Samiel intervient et remet les pendules à l'heure... dans une sorte de flashback. L'intrigue de l'opéra est intelligemment racontée autour de l'amour d'Agathe, la fille du garde forestier, et de Max, le jeune garde-chasse de la ville. Pour obtenir la main d'Agathe et succéder au père, il doit sortir vainqueur d’un concours de tirs. Un objectif presque impossible à atteindre pour celui qui n’est pas un tireur émérite. Le jeune homme se laisse néanmoins séduire par l’offre de Kaspar, l'homme de main de Satan, qui lui propose des balles enchantées qui doivent toujours atteindre leur cible – mais la magie a toujours un prix. Ici, le metteur en scène Philipp Stölzl développe quelques idées pour enrichir l'histoire de dialogues. Ainsi, Agathe devient une femme enceinte qui tremble pour son honneur, Ännchen apparait sous les traits d’une jeune femme homosexuelle (comme pour satisfaire à une tendance à la mode ?), Ottokar devient un roi de conte de fées et le metteur en scène continue de faire preuve d’inventivité. Il imagine surtout deux fins distinctes et c’est particulièrement habile. Après la triste scène de l'enterrement et de l'exécution, le diable remonte encore une fois sa montre et cette fois, la fin est heureuse : l'ermite sauveur, qui apparait ici sous les trait d’un dieu solaire aux éclats rayonnants et arborant un manteau d'étoiles, sauve Agathe et son amour.
Toute la distribution assure vaillamment cette mise en scène exigeante – et humide pour les interprètes qui évoluent partiellement dans l’eau. Niklas Wetzel incarne avec succès le rôle parlé de Samiel. Il s'amuse diaboliquement du plan qu'il a concocté et manipule les personnages comme un magicien. Omniprésent sur la grande scène, il s'exprime tantôt du haut de l'église, tantôt dans un arbre mort. Ce soir-là, Rolf Romei incarne Max, le garde-chasse municipal maladroit et naïf. Un peu vert et avec une petite voix de ténor au léger vibrato, il ne convainc guère. Mandy Fredrich est une Agathe plus enjouée au soprano puissant, dont la technique est à l’avenant de la projection. Hanna Herfurtner, avec un soprano aux couleurs plus sombres, fait une Ännchen bien nuancée, à laquelle elle confère également une solide présence scénique. Johannes Kammler est un Ottokar digne de ce nom, qui en impose dans son uniforme bleu scintillant et sa cape somptueuse. Franz Hawlata est un Kuno fantasque. David Steffens est tout à fait convaincant dans le rôle de Kaspar, lorsqu’il pénètre l’esprit de Max en lui susurrant qu’il peut l’aider grâce aux balles magiques. De son côté, Philippe Spiegel fait de Killian un joyeux compagnon et un amuseur public. L'apparition de Frederic Jost dans le rôle de l'ermite est un luxe, bref mais brillant.
La cheffe Erina Yashima dirige l'orchestre symphonique de Vienne avec circonspection – transféré du Festspielhaus sur la scène du lac. Sur le plan technique, l'interaction avec la scène est parfaite. Le chœur du festival de Bregenz et le chœur philharmonique de Prague sont tout aussi bien préparés l’un que l’autre et participent activement à la scénographie pour faire vivre la communauté villageoise.
Le public réserve des applaudissements nourris aux artistes, à la fin d'une soirée d'opéra grandiose et impressionnante prenant des allures de grand spectacle divertissant et gothique, notamment grâce aux intermèdes théâtraux, aux cascades et à l’investissement des artistes.
traduction libre de la chronique en allemand de Helmut Pitsch
Bregenz, 29 juillet 2024
04 août 2024 | Imprimer
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