Un inconnu se serait introduit chez elle durant la nuit, lui aurait volé un baiser et aurait peut-être cherché à l'enlever. C'est du moins ce que pense la célèbre comédienne Silvia Lombardi, fiancée du Premier ministre de Naples. Le créateur de mode Andrea Coclé, effectivement amoureux de l’actrice, est soupçonné : il reconnait avoir été présent dans son jardin ce soir-là, mais prétend avoir voulu lui chanter la sérénade – que personne n’a néanmoins entendue, puisqu’elle émanait de son âme, prenant ainsi la forme d'une « sérénade silencieuse ». Le tailleur se retrouve bientôt entre les griffes de la police, alors qu’à Naples en 1820, une tentative d’enlèvement est passible de la peine de mort.
Et la même nuit, un inconnu a également placé une bombe sous le lit du Premier ministre.
À l’occasion de son 80e anniversaire, le roi de Naples entend néanmoins gracier un criminel. Le commissaire Caretto a un plan : Coclé, qui croupit déjà en prison, est persuadé d’assumer les deux crimes et pourra réclamer la grâce du Roi. Lors de son procès, Andrea Coclé est condamné à la pendaison mais le destin s’en mêle : le roi meurt avant de pouvoir prononcer sa grâce...
Après de nombreuses confusions et rebondissements, une révolution du peuple de Naples et plusieurs déclarations d’amour, l’ouvrage se conclut sur un happy end. C’est l’intrigue un tantinet alambiquée et pas toujours très claire de Die stumme Serenade (La Sérénade silencieuse), dont le livret est inspiré et signé par Raoul Auernheimer, Victor Clement (le pseudonyme du compositeur lui-même) et Bert Reisfeld.
Dernière œuvre scénique du compositeur, ce livret de La Sérénade silencieuse est mis en musique par Erich Wolfgang Korngold qui présentait l’œuvre comme une « comédie avec musique en deux actes » – ayant fait l’objet d’une création scénique à Dortmund en 1954 (après une version de concert en 1951), acclamée par le public mais décriée par la critique. L’œuvre a ensuite disparu des scènes pendant des décennies jusqu'à ce que des représentations aient lieu à Sarrebruck, Lübeck, Fribourg ou encore Cobourg. Et maintenant, la première autrichienne est donnée au Kammeroper de Vienne.
Les spectateurs qui s’attendaient à un ouvrage similaire à La Ville Morte en sont pour leurs frais : le compositeur autrichien a émigré aux États-Unis, où, comme on le sait, il s'est surtout illustré comme compositeur de musique de films pour le cinéma. Il aimait également l'opérette et avait déjà adapté des œuvres de Johann Strauss, Jacques Offenbach ou de Leo Fall. La Sérénade silencieuse apparait donc comme une opérette dans le style de Franz Lehár et Emmerich Kálmán, ponctuée de quelques danses à la mode, orchestrée pour un ensemble réduit de dix musiciens de Broadway, incluant deux pianos et célesta. Le style personnel de Korngold est toujours indéniablement présent, avec son parfum et ses envolées, mais s'affaiblit néanmoins parfois dans ses idées mélodiques, tant tout sonne de façon si semblable aux œuvres de Lehár ou de Kálmán créées un demi-siècle plus tôt, dans des tonalités rappelant plus la valse et moins Broadway – alors même que c’est pour cette dernière que l’œuvre a en fait été écrite.
Le Wiener KammerOrchester, composé de seulement neuf musiciens sous la direction d'Ingo Martin Stadtmüller, interprète néanmoins la musique de Korngold avec précision et puissance. Sur scène, c'est surtout la Viennoise Jasmina Sakr (ici dans un look alla Barbarella) qui se fait remarquer dans le rôle de l'actrice Silvia Lombardi, avec une immense présence scénique mais aussi un beau soprano. Elle est concurrencée par Alexander Strobele, au jeu délicieux et à l'esprit lascif, dans plusieurs rôles. Peter Bording, l'amoureux naïf Andrea Coclé, joue mieux qu'il ne chante. Paul Schweinester dans le rôle du journaliste Sam Borzalino et Jennifer Lary dans celui de la jeune Louise forment un couple fringant. Stefano Bernardin en premier ministre et Reinwald Kranner en chef de la police froissé sont également bien distribués. Diana Bärhold, Lilia Höfling et Lucia Miorin dansent et chantent avec entrain dans des rôles de mannequins ou de policières.
Dans la mise en scène rythmée, voire agitée, de Dirk Schmeding, on ne sait jamais vraiment ce qui est destiné à faire sourire ou ce qui est drôle involontairement, tant il mise de façon (un peu trop) insistante sur le gag. Il tire néanmoins le meilleur parti d’un ouvrage qui parait hors du temps. Pascal Seibicke situe l'action dans un lieu quelconque et donne aux costumes tantôt un air de noces, tantôt une élégance luxueuse. Quelques valises encadrent la scène. Elles sont parfois utilisées comme espaces de jeu, tout comme la fosse d'orchestre. Tous les protagonistes révèlent un grand sens du jeu et offrent un engagement physique total – dont on retient notamment un numéro de claquettes impressionnant.
Le final, en tout cas, fait mouche – et le public est enthousiaste.
traduction libre de la chronique de Helmut Christian Mayer
29 juin 2023 | Imprimer
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