Madame Butterfly enchante de nouveau au Festival de Bregenz

Xl_madame-butterly_bregenz-festival_photo-ralph-larmann © Ralph Larmann

La « scène sur le lac » impressionne toujours les spectateurs du Festival de Bregenz – d’autant que pour cette reprise de Madame Butterfly, Michael Levine a conçu un décor époustouflant. Le scénographe canadien dépose une gigantesque feuille de papier japonais froissé sur laquelle sont peints les décors évoquant des paysages exotiques. Comme emporté par le vent, ce petit morceau de Japon semble s’être posé délicatement sur le lac de Constance – malgré un poids de 300 tonnes tout de même. Articulée autour de plusieurs niveaux, la scène est spacieuse et offre une grande liberté de mouvements aux déplacements de groupe. Des esprits drapés de robes blanches vaporeuses contribuent éclairer les idées de mise à en scène, comme ce rêve de Cio Cio San dans lequel elle retrouve Pinkerton. Les costumes d’Antony Mc Donald sont colorés et élégants, évoquant l’exotisme extrême-orientale qu’on associe traditionnellement à l’œuvre de Puccini. Les gigantesques vidéos de Franck Evin complètent ce tableau – l’apparition du méchant oncle de Cio Cio San, qui ne s’esquisse que sous forme de projections derrière un voile, est particulièrement impressionnante. La fin de représentation l’est tout autant : Franck Evin fait s’enflammer la feuille de papier japonais. L’équipe artistique d’Andreas Homoki fait là du bel ouvrage.

Lors de cette reprise, la mise en scène enthousiasme des milliers de spectateurs dans une représentation à guichets fermés.

La musique de cette soirée n’est pas en reste. Dans le rôle de Cio Cio San, une éblouissante Barno Ismatullaeva embarque le public dans une standing ovation méritée. Sans le moindre signe de fatigue tout au long de soirée, elle impose une présence scénique saisissante dans l’interprétation du rôle-titre et musicalement, elle déploie son doux soprano de manière souveraine, dans un phrasé fin et nuancé. La chanteuse ouzbèke ne donne jamais le sentiment de forcer sa voix, et révèle une technique parfaite, claire et limpide, jusque dans les registres les plus hauts. L'équipement technique du festival est parfaitement équilibré et même malgré l'amplification, le chant reste agréablement naturel. Annalisa Stroppa est une Suzuki de caractère et compose une servante loyale. Otar Jorjikia fait entendre tout le fondant de sa voix et le legato plein de Pinkerton, même s’il est parfois un peu maladroit dans son jeu. Brett Polegato convainc en Sharpless avec un baryton chaud et confortable. Spencer Lang dans le rôle de Goro fait un entremetteur enjoué et au chant sûr.

Le Wiener Symphoniker joue sa partition depuis le Festspielhaus tout proche, dont le son est retransmis sur le lac de Constance – ce soir-là, la technique est parfaite et la musique enveloppe l'espace, même en plein air. Le romantisme tardif est perceptible dans l'œuvre de jeunesse de Puccini, tout comme l'influence de Wagner. Le compositeur a étudié le style musical japonais et en intègre la coloration et l’identité dans son opéra. L’Orient et l’Occident se rencontrent dans la partition et comme par procuration, on reconnait des composantes des hymnes américain et japonais. Depuis le podium, Enrique Mazzola fait jouer les musiciens avec emphase. L'intimité est rare, le drame domine avec un sens aigu du dosage – cette direction enflammée se révèle néanmoins parfaitement adaptée au regard du contexte, d’autant qu’elle accompagne parfaitement les chanteurs.

Bregenz est à nouveau le théâtre d'une expérience artistique remarquable et au terme de la soirée, le public acclame tous les artistes avec un enthousiasme chaleureux.

traduction libre de la chronique en allemand de Helmut Pitsch
Bregenz, juillet 2023

Madame Butterfly au Festival de Bregenz, du 20 juillet au 20 août 2023

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