Une superbe direction d'orchestre pour une nouvelle Rusalka attrayante à la Royal Opera House

Xl_rusalka-asmik-grigorian-royal-opera-house-c-camilla-greenwell_01487 © Camilla Greenwell

Inspirée des contes de Karel Jaromír Erben et Božena Němcová qui ont nourri le livret de Jaroslav Kvapil, la Rusalka d'Antonín Dvořák (1901) repose sur l'histoire de la nymphe éponyme. Rusalka annonce à son père Vodník, l’Ondin qui règne sur le lac où elle vit, qu'elle est tombée amoureuse d'un prince remarqué alors qu’il chassait. Souhaitant devenir humaine pour pouvoir l'embrasser, elle requiert l’aide de la sorcière Ježibaba. Le prix à payer est néanmoins très lourd : elle perdra la parole et son immortalité si son amour n’est pas partagé. Rusalka accepte le pacte de la sorcière, avec le risque le Prince meurt et qu'elle soit condamnée à la damnation éternelle si elle ne trouve pas l'amour. Malgré l'enjeu, Rusalka boit la potion que Ježibaba concocte pour la transformer.

Le Prince retrouve Rusalka, muette, et bien qu'il ait l'intention de l'épouser, il accorde aussi une certaine attention à l'une des invitées du mariage, une princesse étrangère exigeante et jalouse de Rusalka. Lorsqu'elle maudit le couple, le Prince rejette Rusalka qui retourne rejoindre l'Ondin au bord du lac pour lui confier l'échec de son amour. La princesse étrangère, même si elle a réussi à gagner l'affection du prince, est rebutée par son inconstance et l’enjoint à suivre son épouse rejetée.

Dépitée, Rusalka se tourne vers Ježibaba qui lui indique qu'elle peut encore se sauver si elle tue le prince avec un couteau qu'il lui a donné. Horrifiée, Rusalka rejette cette idée et se débarrasse de l’arme dans le lac. Elle devient alors un Bludička, un esprit mort-vivant qui vit dans les profondeurs du lac et n'en sort que pour attirer les humains vers leur funeste destin. Lorsque le Prince revient au lac et que Rusalka apparaît, la nymphe a retrouvé la parole. Il lui demande de l'embrasser, mais elle lui avoue que si elle lui donne le baiser qu’il lui réclame, il en mourra. Même en ayant conscience des conséquences, il l’enlace et meurt. Vodník constate que tous les sacrifices sont vains, tandis que dans un dernier chant, Rusalka réclame la clémence de Dieu pour le prince malgré son inconstance – « Que Dieu ait pitié de toi ».


Rusalka, Royal Opera House 2023 (c) Camilla Greenwell

Rusalka n'est pas l'opéra le plus facile à mettre en scène. Présenter le lac de manière littérale parait souvent chiche et fade. Pour autant, l’opéra traite essentiellement du conflit entre la nature et la société. Or un décor trop conceptuel expose au risque de représenter une nature très artificielle avant même que l’ouvrage ne commence, et que l'opéra perde alors une partie de son sens. La nouvelle production de la Royal Opera House, dans la mise en scène signée Ann Yee et Natalie Abrahami, aborde néanmoins ces difficultés très efficacement. Elle révèle clairement comment la société corrompt la nature, et articule ses trois actes pour souligner la progression de l'influence pernicieuse. Chaque acte déploie une atmosphère distincte et, si l’on pourrait sans doute imaginer des façons de rendre chaque acte plus efficace, l'impression générale de la soirée s’avère très convaincante.

Dès le prélude, on nous présente une magnifique image de Rusalka et du Prince « nageant » dans les airs, tandis que la conceptrice Chloe Lamford veille à ce que l'acte I, qui se déroule au bord de l'eau, soit tout aussi magnifique. Un lac circulaire est entouré de roseaux suspendus, tandis que les trois esprits des bois deviennent six – les excellents chanteurs Vuvu Mpofu, Gabrielė Kupšytė et Anne Marie Stanley étant dédoublés par des danseurs. Le dispositif introduit une nouvelle dynamique et, contrairement aux demoiselles du Rhin dans Das Rheingold qui impose qu’elles soient trois, il n'y a aucune raison pour qu’ici, elles ne soient pas plus nombreux. Si l'on peut reprocher à l'acte d'être un peu trop direct, il crée néanmoins une vision pure de la nature à partir de laquelle on peut ensuite mesurer la corruption qui la gagne progressivement.

L'acte II, qui se déroule dans le jardin du château du Prince, conserve le lac mais le surplombe d’une plateforme sur laquelle se déroule la majeure partie de l'action. Le contraste entre la nature et la société est très net – notamment via un banc dont un arbre mort dépasse à une extrémité, qui suggère que le prince croit cultiver la nature alors qu'en réalité il la détruit. Le ballet du mariage est également très intelligemment construit pour montrer comment le comportement des invités est en réalité aussi grossier qu'il est supposé être sophistiqué. Quelques sphères de marbre émergent par ailleurs du lac, mais à la fin de la scène, les invités ont pollué les lieux avec des babioles dorées et leurs badinages alcoolisés.

Lorsque nous revenons au lac à l'acte III, l'eau est stagnante et rouge, tous les roseaux ont disparu, illustrant à quel point les actions du Prince ont été corruptrices. Le seul regret que suscite la scène tient peut-être au fait que si elle achève bien la transformation du lieu conformément à la thèse de la production, cet environnement disgracieux engendre un cadre peu attrayant pour la rencontre finale de Rusalka et du Prince. Et un décor peu attrayant peut susciter un sentiment significatif sur l’émotion du spectateur à la fin de l’ouvrage, même si elle reste émouvante grâce à la force d’interprétation du plateau et de l'orchestre.


Asmik Grigorian, Rusalka, Royal Opera House 2023 (c) Camilla Greenwell

Et à l’évidence, les références musicales de la soirée sont extrêmement solides : la direction du chef Semyon Bychkov se révèle particulièrement enchanteresse. Le rythme est parfait, les détails sont stupéfiants, dans une harmonie mutuelle hors-pair. Il ne s'agit pas d'un spectacle conçu pour repousser le spectateur dans ses retranchements. La production pose plutôt le cadre général que l’ouvrage requiert, et le chef souligne toutes les facettes de la partition afin que la sensibilité infuse toutes les composantes de la production et que les lignes puissent respirer naturellement.

Asmik Grigorian est une très belle Rusalka. La combinaison de l’assurance du chant et de la nuance de son soprano rend la performance très convaincante. Elle endosse également parfaitement les changements d’état et de tempérament de son personnage, passant de la nymphe à l'humaine puis au feu follet. David Butt Philip révèle un ténor brillamment expansif dans le rôle du Prince, tandis qu'Aleksei Isaev, qui partage le rôle de Vodník avec Rafal Siwek, déploie un baryton profond et convaincant – à partir de l'acte II, on peine à imaginer interprète plus approprié pour le rôle. Ross Ramgobin dans le rôle du garde-chasse, Hongni Wu dans celui du marmiton et Josef Jeongmeen Ahn dans celui du chasseur se révèlent d’excellents soutiens, tandis que deux autres performances se distinguent particulièrement. Sarah Connolly est une Ježibaba aux multiples facettes, ni vieille sorcière stéréotypée, ni sorcière si comique qu'elle cesse d'être redoutable, et insuffle une intelligence bienvenue à son incarnation du rôle. Enfin, Emma Bell est une superbe princesse étrangère dont la voix capture toute la cruauté que requiert ce personnage particulièrement exigeant.

traduction libre de la chronique de Sam Smith
Royal Opera House de Londres

Rusalka | 21 February - 7 March 2023 | Royal Opera House, Covent Garden

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