Il Ritorno d'Ulisse in patria de Monteverdi ouvre le 5ème festival de pâques d'Aix-en-Provence

Xl_retour © Caroline Doutre

Un moment de grâce pure : tel s’est révélé être ce Retour d’Ulysse en sa patrie de Claudio Monteverdi qui a fait office de concert d’ouverture au cinquième Festival de pâques d’Aix-en-Provence ! L’artisan de ce petit miracle n’est autre que l’immense John Eliot Gardiner qui a assuré non seulement la direction musicale – à la tête de son ensemble des English Baroque Soloists et du Monteverdi Choir –, mais aussi la mise en espace de ce chef d’œuvre de l’art lyrique, avec l’aide de la femme de théâtre britannique Elsa Rooke.

Les opéras de Monteverdi sont très proches du théâtre shakespearien, ne serait-ce que dans leur subtile alternance entre scènes dramatiques et comiques, avec des personnages truculents qui déchaînent le rire au cœur de la tragédie. C’est très exactement ce judicieux équilibre entre les genres qui a fait de ce Ritorno d’Ulisse - aérien et lumineux, basé sur une direction d’acteurs à la fois parfaitement réglée et d’une grande simplicité – un moment de bonheur absolu, comme on en rencontre rarement à l’opéra. Le Grand-Théâtre de Provence s’est avéré d’une acoustique idéale pour accueillir ce joyau légué par le « père de l’opéra », rendu ici à sa pureté originale sous la baguette et la réalisation scénique de Gardiner. Chose inoubliable que cette image, toute de grandiose simplicité, où le bras arc-boutée de Pénélope (servant d’archet) résiste aux prétendants avant de s’assouplir brusquement quand c’est au tour d’Ulysse de s’en emparer…

Le pari de confier une grande partie des rôles à des chanteurs peu connus se révèle par ailleurs totalement gagné. En tête, la Pénélope altière de la magnifique mezzo française Lucile Richardot qui a tout pour elle : le timbre, l’expression, la technique, l’émotion et la silhouette. Son chant, constamment nourri par des graves pénétrants, oscille entre force et fragilité, dès l’immense monologue du I. Tout juste derrière vient le Ulysse de Furio Zanasi qui fait montre d’une sensibilité remarquable. Grand habitué du rôle, le baryton italien incarne le héros mythologique avec une grande sûreté qui ne trompe guère, en associant une puissance impressionnante à un sens rare de la nuance, et en passant avec génie du tonnerre à la confidence amoureuse. Son interprétation touche plus d’une fois au sublime, comme dans l’admirable « Dormo ancora o son desto » au premier acte.

Il trouve dans la soprano tchèque Hana Blazikova une Minerva (également Fortuna) divine, à la voix ronde, claire et parfaitement maîtrisée. On est également ravi de découvrir le ténor polonais Krystian Adam en Telemaco, d’une musicalité exemplaire, et doté d’un timbre plus corsé que celui auquel on distribue généralement le personnage. On n’oubliera pas non plus le personnage pittoresque du berger Eumete auquel le ténor andalou Francisco Fernandez-Rueda apporte humanité et chaleur. Il interprète aussi le rôle d’Eurimaco, à la place de Zachary Wilder, souffrant, qui doit donc se contenter de jouer sa partie pendant que son confrère le chante sur le côté de la scène.  Saluons également l’art de Robert Burt qui rend toute la force burlesque du goinfre Iro, énorme de drôlerie jusque dans le désespoir. Avec ses graves profonds et sa projection phénoménale, la basse italienne Gianluca Buratto – déjà positivement remarqué dans la production nancéienne de L'Orfeo monteverdien en janvier 2014 – remporte tous les suffrages en Nettuno.  De son côté, Anna Denis fait entendre un timbre richement velouté en Melanto, tandis que l’excellent trio des prétendants – le contre-ténor polonais Michal Czerniawski en Pisandro, le britannique Gareth Treseder en Anfinomo et Gianluca Buratto en Antinoo – est également particulièrement apprécié par les spectateurs. Mais, pour être honnête, il faut citer chacun des membres de la nombreuse (et fabuleuse) distribution : John Taylor Ward (Giove), Francesca Boncompagni (Giunone), Carlo Vistoli (Umana Fragilita), Silvia Frigato (Amore) et Francesca Biliotti (Ericlea).

Le triomphe de la soirée doit beaucoup, enfin, à la présence des English Baroque soloists et du Monteverdi choir, dans un opéra qui leur va comme un gant et qu’ils ont interprété tant de fois déjà sous la férule de John Eliot Gardiner, dont l’accompagnement des voix tient en permanence du miracle...

Emmanuel Andrieu

Il Ritorno d’Ulisse in patria de Claudio Monteverdi en concert d’ouverture du 5ème Festival de pâques d’Aix-en-Provence

Crédit photographique © Caroline Doutre
 

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