Coproduite avec le Palau de Les Arts de Valence, qui a eu la primeur du spectacle il y a cinq ans, cette production de Werther aborde bien naturellement l'Opéra de Monte-Carlo, alors que son concepteur Jean-Louis Grinda vient d’entamer sa dernière saison (qui court jusqu’en décembre) à la tête de la vénérable institution monégasque.
Pendant l’ouverture, le héros apparaît un pistolet à la main alors qu’il vient de se tirer une balle dans la poitrine, ce dont sa chemise ensanglantée atteste. C’est alors un long flash-back qu’il revit à travers un immense miroir posé au milieu de la scène, principal support à la scénographie imaginée par le fidèle Rudy Sabounghi, avant que celui-ci n’explose en mille éclats : l’action peut alors commencer. Elle est ici transposée à la fin du 19ème siècle, essentiellement dans une nature « impénétrable et fière » que laissent apparaître d’immenses panneaux qui descendent ou montent dans les cintres pour créer cette dualité intérieur / extérieur. Le premier est aussi étouffant et funèbre que le second est radieux et enivrant. Toujours fidèle aux didascalies du livret, qui parlent des enfants comme d'« anges », un « véritable » ange accompagne Werther dans tous les moments-clés du spectacle, notamment pendant son agonie finale. Avec une direction d’acteurs sensible et toujours juste, ce spectacle d’une intense force émotionnelle et d’un esthétisme raffiné (les deux marques de fabrique de l’homme de théâtre monégasque) s’avère donc d’une excellente facture, et l’on ne pourra que déplorer qu’un incident technique ait privé le public des images vidéo qui devaient apparaître dans l’immense miroir pendant le long intervalle symphonique entre les deux derniers actes.
Après l’avoir entendu dans le rôle en version de concert à Vichy (nous y étions), puis de manière scénique au Théâtre du Capitole (nous y étions aussi), Jean-François Borras confirme qu’il est l’un des grands Werther de notre temps, et ce n’est pas par hasard si le public de scènes aussi prestigieuses que le Metropolitan Opera de New-York ou la Staatsoper de Vienne a pu l’applaudir dans ce rôle qui lui va comme un gant. Que ce soit pour les demi-teintes ou pour la fragilité intérieure du personnage qu’il parvient à insuffler sur scène, on fond littéralement devant son incarnation !
Face à lui, Stéphanie d’Oustrac n’enthousiasme pas moins en restituant à Charlotte sa bonté foncière, son élégance morale et sa ferveur amoureuse : nous découvrons avec elle un être de chair et de sang, d’autant plus émouvant qu’elle ne se livre jamais complètement. De son côté, la jeune soprano française Jennifer Courcier campe la plus plausible des Sophie, avec sa fraîcheur enjouée et ses aigus cristallins, tandis que Jean-François Lapointe est un luxe en Albert, qu’il campe avec le formidable aplomb qu’on lui connaît, une violence contenue inquiétante, et un organe d’une santé éclatante. Les comprimari n’appellent aucun reproche : Philippe Ermelier et Reinaldo Macias ne font qu’une bouchée du duo Johann / Schmidt, tandis que le baryton nîmois Marc Barrard offre sa faconde naturelle au personnage du Bailli.
Déjà en fosse à Valence, le chef hongrois Henrik Nanasi n’est pas le moindre des bonheurs de cette matinée d’exception, qui met en relief tous les raffinements du discours musical de la partition de Jules Massenet. Laissant transparaître les influences de Wagner et de Verdi, il embrase un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo des grands jours, aussi puissament réactif que merveilleusement coloré.
Werther de Jules Massenet à l’Opéra de Monte-Carlo, le 20 février 2022
Crédit photographique © Alain Hanel
22 février 2022 | Imprimer
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