Après avoir assuré la création française du Son lointain (« Der Ferne Klang ») il y a tout juste dix ans, en octobre 2012, l’Opéra national du Rhin crée à nouveau l’événement avec une nouvelle création française d’un opéra de Franz Schreker, Le Chercheur de trésors (« Der Schatzgräber »), opéra en quatre actes, un Prologue et un Epilogue, créé à l’Opéra de Francfort en 1920. Et l’on ne peut que se réjouir du regain de faveur dont jouit, depuis une quinzaine d’années, les opéras du compositeur autrichien, après le formidable succès critique et public rencontré par Les Stigmatisés (« Die Gezeinechten ») à l’Opéra de Lyon en 2015, Le Forgeron de Gand (« Der Schmied von Gent ») à l’Opéra des Flandres en 2020 ou encore par Irrelohe en début d'année, de nouveau à Lyon. Et pour une œuvre aussi rarement jouée, même en terre germanique, peut-être n’est-il pas inutile d’en conter ici le livret, écrit par le compositeur lui-même : « La Reine a perdu le magnifique bijou qui lui assurait beauté et fertilité. Sur les conseils de son Bouffon, le Roi charge le ménestrel Elis de le récupérer grâce à son luth enchanté capable de trouver les trésors cachés. Els, la fille d'un aubergiste, cherche aussi à s'en emparer et n'hésite pas à recourir au mensonge, au vol et au meurtre pour parvenir à ses fins. Le pauvre Elis est accusé à tort de tous ces crimes mais échappe de justesse à la potence. Il tombe fou amoureux d'Els et lui confie le bijou de la Reine. La jeune femme s'offre à lui et oublie, le temps d'une nuit, sa soif d'or pour s'abandonner au véritable trésor de l'amour. Mais finalement confondue, délaissée par Elis et recueillie par le Bouffon, elle finit par mourir du chagrin de ses anciennes amours ».
Cette coproduction avec la Deutsche Oper Berlin, qui a eu droit à la primeur au printemps dernier, est signée par l’homme de théâtre allemand Christof Loy, qui offre un travail plutôt sage et limpide ici, au regard de certaines de ses relectures iconoclastes typiques du regietheater, comme avec ses Vêpres siciliennes au Grand-Théâtre de Genève il y a quelques années. Avec l’aide de son fidèle scénographe Johannes Leiacker, il transpose l’action dans l’immense salle d’apparat en marbre noir et gris d’un palais, un décor unique qui vaudra pour les six tableaux, où une réception avec toute la cour ouvre et ferme la soirée – une cour élégamment habillée en tenues de gala par la costumière Barbara Drosihn, au milieu de laquelle la Reine (rôle muet tenu par formidable Doke Pauwels, déjà présente à Berlin, à la fois fragile et d’une froideur sans pareille) ne se départira jamais de sa robe de mariée. Dans ce mausolée froid et lugubre, Christof Loy multiplie les scènes décadentes, le long duo d’amour au III donnant prétexte à une véritable orgie où tous les sexes se mêlent. Mais la richesse de cet opéra féerique (Märchenoper) est un peu rabougrie par rapport aux possibilités qu’il offre, scéniquement parlant, l’unique décor massif plombant l’aspect onirique de l’ouvrage. On pourra aussi reprocher au metteur en scène de ne pas avoir été plus loin encore dans l’exploration psychologique des protagonistes, ainsi que dans celle d’un livret dont les multiples interprétations n’ont d’égal que les infinis raffinements de la musique.
Alain Perroux, le directeur général de l’institution alsacienne et grand spécialiste de Franz Schreker dont il a écrit une monographie en 2002, a su trouver – avec l’aide de Claude Cortese, son conseiller artistique –, une distribution à la hauteur des enjeux de cette redoutable partition : des voix certes d’une projection impeccable, mais toujours ductiles, susceptibles d’assumer sans raideur une écriture très exposée, sorte d’improbable synthèse entre le pathos wagnérien, le lyrisme de Richard Strauss et les effusions pucciniennes.
Personnage pivot du drame, Els, cette meurtrière impitoyable victime de ses désirs, est ici magistralement interprétée par la soprano finlandaise Helena Juntunen, qui incarnait déjà le rôle féminin principal (Grete) dans Le Son lointain précité. Elle domine sans faille son écrasante partie, avec une voix plus lyrique que dramatique, mais des aigus d’airain, et ses qualités d’actrice donnent à voir les facettes changeantes de son personnage. De son côté, le ténor belge Thomas Blondelle offre à Elis une splendide voix de ténor dramatique, dotée d’inflexions cajoleuses, et d’une endurance à toute épreuve. Leur duo fonctionne à merveille, culminant dans un duo d’amour d’une intensité véritablement solaire.
Autour des deux protagonistes s’affairent une pléthore de comprimari, près d’une vingtaine de rôles, desquels on retiendra tout d’abord le Bouffon de l’Autrichien Paul Schweinester dont on admire la vaillance et la projection, malgré son timbre clair de « ténor de caractère ». Le personnage du Roi est incarné avec assurance par le baryton-basse australien Derek Welton, à la voix sonore, et comment ne pas rendre grâce au baryton allemand Thomas Johannes Mayer, accouru le jour même de Hambourg où il interprète le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme pour remplacer un collègue défaillant dans le rôle du Bailli qu'il avait déjà tenu à Berlin, et auquel il prête son timbre de bronze et sa prestance souveraine.
Le grand triomphateur (et principal bonheur) de la soirée est néanmoins le chef slovène Marko Letonja, qui retrouve un Orchestre Philharmonique de Strasbourg qu’il a longtemps dirigé en tant que directeur musical, et qui apparaît galvanisé comme jamais. L’on admire en premier lieu cette tension dramatique qui ne se relâche jamais, mais aussi la conviction mise à défendre la partition, tout autant que sa capacité à magnifier les sonorités instrumentales, la plupart du temps rutilantes, voire enivrantes.
Une magnifique redécouverte !
Le Chercheur de trésors de Franz Schreker à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 29 novembre 2022
Crédit photographique © Klara Beck
31 octobre 2022 | Imprimer
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