La Rondine (« L’hirondelle ») est un bien curieux opéra. Créée à Monte-Carlo en mars 1917, la partition de Giacomo Puccini semble davantage appartenir à l’univers de l’opérette viennoise qu’au mélodrame larmoyant vécu par Mimi, Butterfly ou Liù. Certes, l’intrigue rappelle un peu la Chauve-Souris (de Strauss) et la belle Magda qui se rend au bal Bullier déguisée en « grisette » est sœur de Rosalinde, mais son rêve secret est davantage celui de Violetta. La musique elle-même se souvient beaucoup de La Bohème ou de La Fille du Far-West ; les interventions de Lisette, Yvette et Suzy ont déjà le rythme et la couleur de celles de Ping, Pang et Pong. Mais toutes ces belles citations peuvent néanmoins alourdir un propos qui se veut léger et une intrigue qui devrait adopter le rythme d’une folle journée. Reste l’impalpable Sogno di Doretta, si beau que Puccini ne résiste pas à l’utiliser à l’envie tout au long de l’opéra comme un leitmotiv obsédant.
Le Théâtre du Capitole de Toulouse a eu bien raison – pour fêter le centenaire de l’ouvrage – de reprendre (sous la houlette de Stephen Barlow) la production que l’ancien maître des lieux (Nicolas Joël) avait signée pour son théâtre en 2005 (reprise ensuite un peu partout dans le monde, de Londres à Tel Aviv, et de New-York à San Francisco). Grâce au concours d’Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes) et Vinicio Cheli (lumières), la production porte la griffe raffinée que l’on a toujours connue à l’ancien patron de l’Opéra de Paris, qui situe l’action non pas dans les années 1850, époque du livret, mais à celui de la création, soit à la fin de la Première Guerre mondiale. Les décors Art déco de Frigerio parcourent une spectaculaire gamme de couleurs, notamment ceux du II, au bal Bullier. Les costumes de Squarciapino sont tout aussi magnifiques, en particulier ceux de Magda et ses amis, d’une élégance extrême. Mais Nicolas Joël veille également à maintenir les chanteurs en mouvement, chez Bullier bien sûr, mais aussi dans l’appartement de Magda au premier acte : les dames rassemblées autour de Prunier, assis au piano, et les messieurs discutant affaires avec Rambaldo ou parcourant les journaux. Au dernier acte seulement, le calme semble revenir sur le plateau, en osmose avec le dialogue amoureux de Magda et Ruggero.
La jeune soprano russe Ekaterina Bakanova s’avère parfaite en Magda, aussi ravissante à voir qu’à entendre, tour à tour piquante et émouvante, et constamment à l’écoute des moindres variations d’humeur de l’héroïne. Son Ruggero est son compatriote Dmytro Popov – entendu la saison dernière à la Staastoper de Dresde en Caravadossi – qui offre au rôle sa voix solide et généreuse, qui peut encore gagner en subtilité cependant. Elena Galitskaya – quant à elle délicieuse Fiorilla (Il Turco in Italia) l’année passée à Dijon – trouve idéalement sa place en Lisette à qui elle offre, en plus d’un jeu très naturel, une voix agile et conduite avec goût. Face à elle, le ténor roumain Marius Brenciu donne également un juste relief au personnage de Prunier, le poète, dont il sait faire ressortir la charmante futilité. De son côté, Gezim Myshketa dessine à gros traits le portrait du riche Rambaldo, tandis que Norma Nahoun (Yvette), Aurélie Ligerot (Bianca) et Romie Esteves (Suzy) expriment au mieux le bavardage superficiel de celles qui ont, semble-t-il, trouvé leur bonheur dans une cage dorée. Des nombreux rôles secondaires, on retiendra notamment l’excellent Yuri Kissin dans le rôle de Crébillon.
Dernier grand bonheur de la soirée, la baguette du maestro italien Paolo Arrivabeni, qui dirige d’une main experte cette mirifique partition, et parvient à extraire du non moins mirifique Orchestre national du Capitole des sonorités chaudes et expressives, en veillant à ne jamais relâcher le tempo. Le lecteur s’étonnera t'il que le spectacle finisse sur un triomphe ?...
La Rondine de Giacomo Puccini au Théâtre du Capitole, jusqu’au 26 novembre 2017
Crédit photographique © Patrice Nin
23 novembre 2017 | Imprimer
Commentaires