Pour sa nouvelle production de Macbeth à l'Opéra Royal de Wallonie, Stefano Mazzonis Di Pralafera peut remercier Jean-Louis Grinda de lui avoir insufflé la principale idée de sa mise en scène : celle d’un immense miroir qui reflète la scène et les personnages qui y déambulent, à l’instar de la production d’Ernani signée par l’homme de théâtre monégasque, vue in loco la saison passée, et reprise pas plus tard que le mois dernier à l’Opéra de Marseille. L’image d’entrée, pendant l’ouverture, laisse apercevoir un jeu d’échecs grandeur nature (photo), avec Macbeth en Roi et sa Lady en Reine, mais cette idée ne sera bizarrement pas exploitée par la suite, hors dans la scène de somnambulisme où chaque case blanche apparaît une à une, tandis que Lady Macbeth se promène, hagarde, sur le damier qui se construit sous ses pas… Pour le reste, la production signée par le maître des lieux ne déroge pas au classicisme dont il est coutumier, avec une mise en place assez convenue dans le jeu des acteurs. Ce sont surtout les somptueux costumes de Fernand Ruiz qui retiennent ici l’attention, notamment ceux des personnages principaux, entre heroic fantasy et historicisme médiéval. Le traitement des sorcières, à la fois barbues et cornues, est en revanche beaucoup moins réussi…
Une fois de plus, à 76 ans passés, Leo Nucci étonne dans le rôle-titre – qu’il a incarné sur les plus grandes scènes de la planète – par une vigueur sur laquelle les années semblent n’avoir que peu de prise… du moins une fois son vibrato stabilisé. Ses aigus pleins et timbrés font délirer la salle, mais son Macbeth n’est pas pour autant incarné de manière extérieure. Au contraire, en nuançant à l’extrême son phrasé, le vétéran italien brosse le portrait d’un monarque introverti et tourmenté, en totale osmose avec la vision du chef d’orchestre et du metteur en scène. Bien que ce soit la version de 1865 (dite de Paris, avec l’indispensable ballet…) qui ait été ici retenue, Mazzonis a opté pour le final de la première mouture (florentine) du chef d’œuvre verdien (1847), afin de laisser le dernier mot non pas aux chœurs, mais à Leo Nucci, dont le très émouvant arioso « Mal per me » – méditation désabusée du roi mourant – clôt la soirée. A ses côtés, la soprano russe Tatiana Serjan confirme qu’elle est bien l’une des meilleures Lady Macbeth du moment, même si elle doit désormais partager cet apanage avec Béatrice Uria-Monzon, entendue dans ce même rôle il y a peu au Théâtre du Capitole. Les handicaps de la chanteuse pétersbourgeoise dans d’autres emplois verdiens deviennent des atouts dans ce rôle hors-norme, à commencer par ses aspérités dans le timbre et ses flagrantes inégalités de registres. Toutes les notes sont là, jusqu’au fameux contre-Ré bémol pianissimo à la fin de l’« air du somnambulisme », et les traits de virtuosité du Brindisi sont rendus avec un aplomb décoiffant. Face au couple maudit, on apprécie le Banquo sonore – bien qu’au vibrato par trop prononcé – de la basse italienne Giacomo Prestia, ainsi que le Macduff à la fois viril et tendre de son jeune compatriote Gabriele Mangione, lui aussi musicien avant tout, qui joue la carte du naturel et de la clarté (de la projection, de la ligne).
Mais la clé de voûte du spectacle est bien le maestro Paolo Arrivabeni, longtemps directeur musical de la maison wallonne, qu’il retrouve visiblement avec un grand bonheur. A la tête d’un Chœur et d’un Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège qui se transcendent littéralement sous sa baguette, le chef italien livre une lecture âpre et sauvage de la partition de Giuseppe Verdi, animant la représentation d’un souffle irrésistible, qui lui vaut des vivats mérités au moment des saluts. On languit déjà son retour dans la fosse liégeoise, ce sera pour un récital (avec orchestre) de la sublime Joyce DiDonato en novembre prochain !
Macbeth de Giuseppe Verdi à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 26 juin 2018
Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège
Commentaires