Pour sa troisième édition, le Festival d’Opéra de Lisbonne (Operafest de Lisboa) et sa directrice artistique Catarina Molder ont choisi les « Vertiges du Destin » comme titre, en s’appuyant principalement sur le célèbre Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi (donné pour cinq représentations). Festival de plein air, les soirées se déroulent dans les Jardins du Musée National d’Art Ancien, avec une vue imprenable sur le Tage en contrebas et l’immense Pont du 25 avril qui relie les deux rives, au bout duquel se détache l’imposant et célèbre Cristo Rei, frère de celui qui domine le Corcovado à Rio de Janeiro. Si le charme d’une représentation sous les étoiles est indéniable, le lieu ne dispose néanmoins pas de mur(s) pour renvoyer le son, comme à Orange ou à Aix, et à l’instar du Circo Massimo ou des Thermes de Caracalla à Rome, les soirées sont donc sonorisées, un dispositif qui permet également de contrecarrer les bruits du chemin de fer qui passe le long du Tage. Ce ne sont pas les meilleures conditions d’écoute (comment juger de la puissance d’une voix par exemple ?), mais avouons que l’oreille s’y fait vite, d’autant que la dernière soirée du 26 août affichait complet, et que les dernières chaises disposées dans l’agréable jardin lisboète se trouvent très loin du plateau – une scène au format par ailleurs assez restreint dû aux contraintes du lieu. De même, la fosse d’orchestre s’avère réduite, et c’est une mouture « allégée » de la partition de Verdi, arrangée par Francisco Lima da Silva, qui est ici donnée.
Ceci posé, c’est à une bien belle soirée lyrique que nous assistons, portée il est vrai par ce que le Portugal possède en plus belles voix, à commencer par celle du ténor Carlos Cardoso (Riccardo), qui pour l’instant fait ses armes dans la troupe de l’Opéra d'Essen, en Allemagne, mais que l’on devrait vite voir voler de ses propres ailes sur les plus grandes scènes internationales tant la voix coche toutes les cases du chant verdien : la beauté d’un timbre ensoleillé et les qualités de l’émission font ici merveille, sans parler d’une aisance désarmante dans la partie supérieure du registre, et d’une perception aigüe de la psychologie de son personnage.
L’Amelia de Catarina Molder convainc, même si la voix est bien plus d’essence lyrique que dramatique, et que son registre grave se montre plutôt mince. Le médium apparait plus généreux, et le registre aigu s’avère tout simplement conquérant, et l’on reste surtout captivé par la beauté de la voix et du phrasé, ainsi que par son sens des nuances et la subtilité de ses colorations. Et puis elle délivre une superbe émotion dans son deuxième air « Morro, ma prima in grazia » (photo).
Entendu en avril dernier dans La Bohème au Teatro Nacional de Sao Carlos voisin, le baryton colombien (installé au Portugal) Christian Lujan (Renato) confirme les bonnes impressions laissées par son Marcello, et il fait montre de tout le legato requis dans son grand air « Eri tu », en plus de conférer à son personnage toute la dignité et l’autorité qu’il requiert. En Ulrica, la contralto portugaise Catia Moreso ne nous est pas inconnue non plus, après son apparition dans Andrea Chénier en juin, également au TNSC : elle délivre un « Re dell’abisso » impressionnant de profondeur et d’éclat mêlés. Enfin, la jeune Filipa Portela anime plaisamment les interventions d’Oscar tandis que Ricardo Rebelo Silva (Samuel) et Leandro Moreso (Tom) se posent comme d’excellents comprimari, et que les membres du Nova Era Vocal Ensemble ne faiblissent jamais.
Avec pour seul décor cinq cadres de porte, qui figurent tour à tour les murs d’une salle de palais ou les parois de la caverne de la magicienne Ulrica, Sandra Faleiro signe une mise en scène particulièrement sobre, qui repose d’abord sur les costumes (très années 30, de l’autre côté de l’Atlantique), les effets de lumières et surtout le jeu des acteurs. Enfin, malgré un orchestre réduit, le jeune chef polonais (installé à Lisbonne) Jan Wierzba ne laisse aucun répit à l’objection. Prélude immédiatement au cœur de l’action, introduction tourmentée du II, vigueur et rigueur impulsées aux ensembles, portent à l’incandescence le jeu de la formation lusitanienne MPMP !
Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi à l’Operafest de Lisbonne, le 26 août 2022
Crédit photographique © Susana Paiva
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