Comme nous l’évoquions récemment dans ces colonnes, l’Italie vient de rouvrir ses théâtres ! A commencer par l’un des plus mythiques d’entre eux, La Fenice de Venise (littéralement, le Phoenix), qui n’en est plus à une renaissance près. Prévu deux jours plus tôt en streaming, ce récital lyrique réunissant Luca Salsi et Michele Pertusi a donc finalement pu se tenir avec du public (âgé exclusivement entre 18 et 30 ans !), ce lundi 26 avril. Un concert entièrement consacré à Giuseppe Verdi, et plus spécifiquement à cinq ouvrages que le maestro italien a composés expressément pour ce théâtre, car oui, les Premières d’Ernani (1844), d’Attila (1846), de Rigoletto (1851), de La Traviata (1853) et de Simon Boccanegra (1857) eurent lieu ici !
Avant et pendant un discours officiel de Fortunato Ortombina, surintendant et directeur artistique du Teatro La Fenice, les caméras s’en donnent à cœur-joie de parcourir les cinq étages d’un des plus beaux théâtres du monde, immortalisé par Luchino Visconti dans son film Senso. Le programme respecte l’ordre chronologique des œuvres et débute naturellement avec l’Ouverture d’Ernani, que le chef italien Stefano Ranzani (pour Riccardo Frizza initialement annoncé), placé à la tête des forces musicales du Teatro La Fenice, fait retentir avec des mouvements particulièrement tranchés, comme les appellent les œuvres du jeune Verdi.
Apparaît ensuite la basse italienne Michele Pertusi, qui n’en finit pas de nous impressionner, comme dernièrement en live à l’Opéra de Monte-Carlo dans I Lombardi ou en octobre dernier en streaming au Festival Donizetti de Bergame dans le rôle-titre de Marino Faliero. Dans l’aria (tirée d’Ernani) « Che mai vegg’io… Infelice!... E tuo credevi », magnifique de graves et d’ampleur, Michele Pertusi atteint des sommets. De même dans l’air « Uldino! Uldin... Mentre gonfiarsi l’anima... Oltre quel limite ti attendo » (extrait d’Attila), sa voix noire et riche en harmoniques, l’insolence de la vocalise, et l’égalité du timbre sur toute la ligne ne peuvent qu’impressionner. Mais c’est dans le personnage de Fiesco (Simon Boccanegra), et les deux duos qu’il interprète avec son compère (le premier dans le Prologue « Suona ogni labbro il mio nome... Del mar sul lido fra gente ostile » et ensuite à l’acte III « Dal sommo delle sfere... M’ardon le tempie... Era meglio per te ! ») qu’il donne la pleine mesure de son talent, en s’investissant corps et âme dans son personnage, et en parvenant ainsi à émouvoir profondément.
De son côté, le baryton Luca Salsi ne fait qu’une bouchée des deux airs de Carlo (dans Ernani) « Cugino, a che munito... Lo vedremo, veglio audace » à l’acte II, puis « È questo il loco?... Oh, de’ verd’anni miei » qui ouvre l'acte III. Le style le dispute ici à l’élégance de la ligne, et le superbe équilibre entre le volume et la couleur est remarquable de bout en bout. Dans Rigoletto (« Quel vecchio maledivami ») comme dans La Traviata (« Di provenza il mar »), son impeccable phrasé, sa large palette dynamique, et le métal dans la voix autant que la richesse dans le timbre, rendent justice au talent et à l'écriture de Verdi. A l’instar du Fiesco de son compatriote, son Simon étreint la gorge dans la scène finale (celle de sa mort), quand il déclame « Toute joie sur la terre est un charme mensonger. Le cœur humain est source de larmes infinies »...
Placé au beau milieu du parterre tandis que les solistes et le chœur occupent la fosse recouverte pour les premiers, et la scène pour les seconds, les distanciations physiques sont plus que respectées, ce qui n’empêche pas les membres du Coro del Teatro La Fenice de porter le masque. Un chœur maison qui a maintes fois l’occasion de briller pendant la soirée, comme dans le célèbre « Zitti, zitti » extrait de Rigoletto ou les couplets des Gitanes et Toreros issus de La Traviata « Noi siamo zingarelle… Di Madride noi siam mattadori ». Nous serons plus circonspects sur les comprimari invités à donner la réplique aux deux chanteurs, et dont nous préférons donc taire les noms…
Une réjouissante soirée lyrique de l’autre côté des Alpes, et il n’y a plus qu’à attendre que l’Hexagone suive l’exemple de la Botte... en rouvrant également ses propres théâtres !
Gala Verdi avec Luca Salsi et Michele Pertusi au Teatro La Fenice de Venise, le 26 avril 2021.
29 avril 2021 | Imprimer
Commentaires