Repoussée de deux ans à cause de la pandémie, cette coproduction de Lucrezia Borgia de Gaetano Donizetti entre les Opéras d’Oviedo, de Tenerife et de Séville, arrive enfin au Teatro Comunale de Bologne. La mise en scène a été confiée à Silvia Paoli, qui semble avoir une appétence prononcée pour le regietheater allemand, ce qui n’a pas été du goût (forcément) latin du public bolognais - qui n'a pas attendu la fin pour manifester son mécontentement. Transposée dans un prosaïque abattoir, qui sert également de salle de torture et orgies diverses (décor unique signé par Andrea Belli), l’action se déroule pendant la période fasciste (les costumes de Valeria Donata Betella y renvoient explicitement). La femme de théâtre florentine prend ici le parti de l’héroïne, qui n’est plus ce monstre assoiffé de pouvoir et de vengeance décrit par les livres d’histoire, mais la victime des tendances machistes de la société de son époque. Et elle n’y va pas par quatre chemins pour nous le prouver, en s’inspirant de scènes directement tirées de Salo ou 120 journées de Sodome de Pasolini (originaire de Bologne) : le premier acte laisse découvrir une immense cage dans laquelle s’ébattent de nombreuses femmes dénudées et ensanglantées (photo), qui sont ensuite suspendues à des crocs de boucher, pour être fouettées, violentées et abusées sexuellement ! Passées ces violences aussi provocatrices que gratuites, il ne se passe plus grand-chose sur scène ensuite, et surtout le postulat de départ s’avère sans continuité dramaturgique.
En double distribution aux côtés d’Olga Peretyatko, la jeune soprano italienne Marta Torbidoni confirmant les excellentes impressions qu’elle nous avait laissées lors du dernier Festival de Donizetti de Bergame, dans Medea in Corinto de Mayr. Elle soulève l’enthousiasme du public (qui lui lance moult « Brava ! ») par la péroraison de sa cabalette finale, véritable morceau de bravoure, après avoir su restituer, la soirée durant, l’énergie et l’élégance du langage de l’héroïne. Car son air d’entrée « Com’è bello » est exquisement phrasé, son timbre et son contrôle du souffle préservant par ailleurs la crédibilité de son incarnation jusqu’au rideau final. Absolue et enthousiasmante découverte pour nous que le jeune ténor italien Francesco Castoro, qui campe un Gennaro de rêve : il déploie dans son rôle des trésors de charme et de poésie, avec un timbre d’une incroyable séduction (on rêve de l’entendre en Elvino dans La Sonnambula !), et un mélange d’ardeur et de vulnérabilité dans l’accent absolument irrésistible. Et c’est donc une chance que l’on entende la version de 1840, retenue ici, c’est-à-dire avec la plainte finale « Madre, se ognore lontano », dans laquelle il rallie tous les suffrages.
De son côté, Nicole Brandolino (Maffio Orsini) est une authentique mezzo colorature, au timbre mordant et à l’émission raffinée. On lui sait gré de ne jamais grossir artificiellement le grave, déployant un aigu superbement rayonnant. Enfin, la basse Davide Giangregorio campe un Alfonso idéalement dominateur, dotée d’une belle présence scénique, et l’on salue sa manière de mettre en valeur les moindres nuances du texte. L’équipe des comprimari, essentielle dans Lucrezia Borgia, se montre très inégale, le plus satisfaisant s’avérant le Rustighello insinuant du ténor Pietro Picone.
Enfin, pour Andriy Yurchevich initialement annoncé, Yves Abel dirige le bel Orchestra del Teatro Comunale di Bologna avec la finesse, la richesse de coloris et la variété dans les dynamiques dont le chef québécois est coutumier. Surtout, il manifeste cette flexibilité rythmique sans laquelle ce répertoire ne peut revivre. Le tout, inutile de le préciser, sans jamais sacrifier les exigences du chant, ni le nécessaire équilibre entre fosse et plateau.
Lucrezia Borgia de Gaetano Donizetti au Teatro Comunale di Bologna, jusqu’au 13 mai 2022
Crédit photographique © Andrea Ranzi
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