Repoussée de deux mois pour les raisons que l’on connaît, la 10ème édition de Musiques en fête a bien eu lieu ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la fête fut belle (malgré les contraintes sanitaires strictes et une jauge réduite de 8500 à 3500 personnes) car placée sous le signe de la jeunesse et du talent… Comme à son habitude, la soirée n’est pas entièrement consacrée aux airs d’opéra, mais laisse également la place à la comédie musicale, à la chanson française ou encore aux musiques « traditionnelles ». Deux chefs, l’Italien Luciano Acocella et le Français Didier Benetti, sont invités à diriger tour à tour un Orchestre National de Montpellier Occitanie en bonne forme, et un jeune chœur composé de trente enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône et de trente enfants supplémentaires issus des classes CHAM du collège Joseph d’Arbaud de Vaison le Romaine.
Parmi les fidèles de la première heure, l’on retrouve la soprano italienne Patrizia Ciofi (dont nous avons tant de souvenirs inoubliables sur cette même scène) qui délivre un souverain « La Vergine degli Angeli » extrait de La Force du destin, transformant soudainement la scène en un temple habité par le sacré et le divin. La Forza del destino également pour Béatrice Uria-Monzon qui s’attaque à l’ardu « Pace pace, o mio Dio », qu’elle chante avec la force dramatique prodigieuse qu’on lui connaît. Le belge Marc Laho offre de son côté un tonitruant « Nessun dorma » (Turandot), sans pour autant sacrifier les règles de la ligne, tandis que le Messin Florian Laconi se frotte au sublime air de Sorozabal tiré de sa zarzuela La Taberna del puerto, auquel il apporte toute l’émotion qu’il requiert.
Nous ne citerons pas de manière exhaustive tous les artistes qui se seront produits, ni les œuvres qui auront été mises à l’honneur durant cette soirée de trois heures donnée sans entracte (et en direct sur France 3), mais mentionnons ses moments les plus marquants (pour nous tout du moins, et seulement dans le registre lyrique…). Par le plus grand des hasards, nous avons interviewé dernièrement un certain nombre des jeunes artistes réunis ce soir. C’est le cas de la mezzo suisse Marina Viotti qui, après nous avoir éblouis à Strasbourg dans le rôle de Rosina (Le Barbier de Séville), enthousiasme ce soir dans celui d’Angelina ("Non piu mesta" extrait de La Cenerentola), qu’il s’agisse de la longueur de la voix, de la qualité irréprochable du timbre, de la justesse des vocalises ou encore de la perfection de l’intonation. De son côté, le baryton Jérôme Boutillier (qui nous accordait un entretien) fait preuve de tout son incroyable talent dans le bouleversant « Adieu, Carlos. Souviens-toi ! » extrait du Don Carlos de Verdi, où son timbre magnifique, sa tessiture idoine et sa prosodie française parfaite emportent l’adhésion. Le ténor bordelais Thomas Bettinger (lire son interview) que nous avions justement découvert dans le rôle de Mario (Tosca) à l’Opéra de Saint-Etienne en 2015, suscite à nouveau l’enthousiasme dans un « Lucevan le stelle » dans lequel on sent qu’il utilise ici sa tête pour traiter ce rôle neuf, quand on sait en même temps à quel point il le porte déjà dans ses tripes et son cœur.
La jeune soprano colorature Jeanne Gérard fait également forte impression dans l’air « O luce di quest’ anima » extrait de Linda di Chamounix (Donizetti), où elle fait montre d’une incroyable facilité à sortir des notes aussi folles qu’extrapolées. Même enthousiasme pour la prestation d’Amélie Robins (trois semaines après sa Gilda dans le Luberon voisin) dans l’aria « Ah ! Non giunge » tirée de La Somnambule de Bellini ; l’artiste y paraît radieuse, elle chante son air avec un sourire dans la voix, et propose des vocalises confondantes de précision et d’imagination. Toujours dans le registre belcantiste, l’air « Deh ! Tu di un’umile preghiera » (extrait de Maria Stuarda de Donizetti) est un autre grand moment d’émotion, que nous fait vivre la talentueuse soprano française Fabienne Conrad : tout le public retient son souffle dans ce passage où la chanteuse murmure presque ce magnifique morceau, avec un superbe sens de la couleur vocale. Quant à la soprano catalane Sara Blanch Freixes, elle récolte aussi un beau succès public après l’exécution de la fameuse Valse de Juliette, où l’on goûte à la fois sa virevoltante virtuosité, son timbre pur et cristallin, ainsi que sa délicate musicalité et sa science des demi-teintes. Un grand bravo tout particulier à ces quatre jeunes interprètes féminines !
Un mot de félicitations aussi pour les deux présentateurs de la soirée, l’ami Alain Duault (directeur artistique de la manifestation provençale) laissant cette fois la place au sémillant Cyril Féraud et à la pétulante Judith Chaine… ou quand la gaieté et la culture musicale se donnent la main. Et il faudra enfin évoquer les toujours aussi somptueuses autant qu’impressionnantes projections vidéo qui auront accompagné de manière judicieuse chacune des prestations vocales… un enchantement de tous les instants !
Musiques en fête au Théâtre Antique d’Orange, le 11 septembre 2020
Crédit photographique © Philippe Gromelle
18 septembre 2020 | Imprimer
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