Olivier Py signe une Salomé iconoclaste à l'Opéra national du Rhin

Xl_salome1 © Klara Beck

Pour sa quatrième production à l’Opéra national du Rhin – après Les Huguenots (Meyerbeer) en 2012, puis Ariane et Barbe-Bleue (Dukas) en mai 2015 et Pénélope (Fauré) en novembre de la même année –, Olivier Py est cette fois aux prises avec la Salomé de Richard Strauss. Force est de constater que le metteur en scène français met la barre très haut en se référant (dans les notes d'intention) à Nietzsche, et en plaçant la métaphysique au cœur de l'intrigue, qui se conclura sous la bannière d'un « Gott ist tot » (Dieu est mort) peut-être un peu trop évident (et donc inutile). Car, avant que la fille d'Hérodias n'ait fait chuter rien moins que la civilisation (occidentale) et la chrétienté par une danse bestiale plus que sensuelle, le spectacle aura donné beaucoup à voir. Le décor imaginé par le fidèle Pierre-André Weitz, naïf et graphique, est composé de panneaux reliés entre eux à la manière des livres animés pour enfants, qui se ferment l'un après l'autre, et tombent (lourdement) sur le plateau pour laisser la place au suivant, dessinant avec leurs tranches additionnées les marches d'un escalier, en haut duquel Salomé – telle Floria Tosca – se jettera dans le vide à l'issue du spectacle. Ce dispositif visuel est ingénieux, d'autant plus qu'il s'accompagne à chaque fois d'un souffle d'air qui projette parmi les spectateurs soit des paillettes, soit des billets de banque... Car Olivier Py fait de l'opéra un chemin de croix pour Salomé, laquelle évolue dans un décor de théâtre, et se retrouve tour à tour dans une jungle amazonienne, une métropole aux tours illuminées, un paysage alpestre, une église ou les flammes de l'enfer... A la recherche d'elle-même, d'un dialogue, d'une écoute, de réponses… auxquels personne n'accède, d'où sa souffrance métaphysique, et le désir unique de la bouche de Jochanaan, le seul qui lui ait parlé et l'ait vue autrement que comme un corps désirable. Salomé est ici femme d'esprit plus que de chair et il n'est pas indifférent qu'elle finisse sa danse, sous le corps d'un christ suspendu par les pieds, avec un masque en forme de crâne mortuaire : le sexe est mort dans cette adaptation, comme le montre certains ébats dénudés et glacés dans les cimes enneigées. Sans doute Olivier Py prend ici quelques libertés avec le livret, et nul n'est tenu d'adopter sa vision, mais force est de reconnaître que sa lecture est diablement iconoclaste…

Déjà présente sur cette scène dans Der Ferne Klang de Schreker en 2012, la soprano finlandaise Helena Juntunen s’empare du rôle-titre avec une présence exceptionnelle. La voix n’est pas en reste, claire, admirablement projetée, qui restitue toute la monstruosité de cette femme-enfant et sait s’autoriser des raucités vulgaires (avec quel mépris elle énonce les syllabes de « Tetrach ! »). Elle forme en plus un couple d’une séduction irrésistible avec le magnifique Jochannaan de Robert Bork, au chant plein de charisme et de grandeur, et dont nous avions déjà salué la prestation in loco l’an passé dans La défense d’aimer de Richard Wagner. De son côté, Wolgang Ablinger-Sperrhacke, aussi excellent acteur que chanteur, campe un Hérode à la voix superbement projetée. En évitant toute caricature, il enthousiasme par la finesse de la caractérisation avec dans le dessin du personnage un mélange saisissant de beauté vocale et de débauche. Hérodiade trouve dans la mezzo américaine Susan Maclean une interprète aux moyens amples et au timbre chaud. Loin de la traditionnelle harpie dans laquelle nombre de metteurs en scène enferment volontiers le rôle, elle dessine une Hérodiade terriblement humaine dont la voix révèle sans cesse la détresse. Julien Behr est tout simplement un luxe dans le rôle de Narraboth, tandis que la contralto israélienne Yael Raanan Vador se montre très convaincante dans la tessiture du Page et que les comprimari (Nazaréens, Juifs et Soldats) n’appellent aucun reproche. Signalons également la présence du comédien Armando Dos Santos, déjà présent dans Ariane et Barbe-Bleue : il est cette fois Minotaure-Bourreau-Ange de la mort, entièrement nu et couvert de sang, et chacune de ses apparitions est saisissante.

A la tête d’un Orchestre Philarmonique de Strasbourg brillant de mille feux, le chef allemand Constantin Trinks impulse à son instrument une tension et un crescendo orchestral absolument jouissifs. Sa lecture de la partition, à la fois lyrique et raffinée, fait ressortir la luxuriance sans pareille de l’orchestration straussienne et se conclut par un final magistral d’intensité dramatique. En vrai chef de théâtre, il montre par ailleurs une attention permanente aux chanteurs, prenant soin de ne jamais les mettre en difficulté en instaurant un subtil équilibre entre fosse et plateau, ceci malgré les paroxysmes sonores de la partition.

Emmanuel Andrieu

Salome de Richard Strauss à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 2 avril 2017

Crédit photographique © Klara Beck
 

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