Après avoir interprété le rôle-titre de Werther à l’Opéra de Paris en 2010, puis à la Wiener Staatsoper un an plus tard – déjà aux côtés de Sophie Koch en Charlotte les deux fois –, c’est au Metropolitan Opera de New-York que Jonas Kaufmann a repris ce rôle en or pour un chanteur-comédien de sa trempe. Car le ténor munichois ne déroge pas à sa réputation lors de cette soirée captée en mars 2014 où il brille de mille feux, tant sur le plan vocal que scénique. Pour commencer, son physique correspond idéalement à celui du héros romantique allemand qu’est le personnage de Werther (né sous la plume du grand Johann Wolfgang von Goethe), et l’acteur se montre ici saisissant de crédibilité et d’engagement dramatique, jusque dans ses gestes et mouvements les plus infimes. Quant à la voix, avec sa couleur sombre en adéquation totale avec la psychologie du héros, elle garde plus que jamais tout son magnétisme et son pouvoir de séduction, doublée ici d’une intensité dans l’accent et d'une perfection de la diction qui emportent tout sur leur passage. Comment ne pas rester électrisés quand les aigus se libèrent avec un impact aussi dévastateur (notamment dans le Lied d’Ossian), et ne pas se pâmer devant son art des diminuendi, qui arrache les larmes (même devant son écran) dans la scène finale ?
Pour ses débuts dans la célèbre institution new-yorkaise, Sophie Koch ne lui cède en rien et campe une magnifique Charlotte, elle aussi bouleversante de sincérité. Il faut l’entendre dire à Werther « Il faut nous séparer... », lorsque son accent, son regard, l’élan de son corps, tout en elle dit le contraire, comme le célèbre « Va, je ne te hais point... » de Chimène… Et l’évidente complicité qui l’unit à son illustre partenaire se traduit aisément par d’irrésistibles moments de grâce, jusqu’au déchirant duo final. Le reste de la distribution n’appelle aucun reproche, le baryton serbe David Bizic trouvant dans Albert un de ses meilleurs emplois, tandis que Lisette Oropesa est l’une des plus délicieuses Sophie qu’il nous ait été donné de voir et d’entendre. Le bailli du vétéran australien Jonathan Summers se montre également épatant, aux côtés des impeccables Johann et Schmidt de Philip Cokorinos et Tony Stevenson.
La production de l’homme de théâtre et de télévision britannique Richard Eyre séduit grandement, avec sa transposition lors la Belle époque, pendant laquelle a été écrite la partition. Belle idée, pour commencer, de montrer pendant le prélude les funérailles de la mère de Charlotte, et en filigrane la promesse de Charlotte à cette dernière, qui la liera à Albert, vœu d’où naîtra tout le drame à venir. Très présentes tout au long de la soirée, les vidéos de Wendall K. Harrington sont pour beaucoup dans la réussite visuelle de la soirée, et elles débutent avec cet attroupement de corbeaux qui assistent au cortège funèbre, dans des arbres dénudés par l’hiver. Elles marquent le passage des saisons, offrant ensuite des images d'une forêt verdoyante au I, puis celle d’un village avec un clocher typiquement germanique au II. Les actes III et IV s’avèrent plus sobres, et ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les atmosphères dépeintes dans la production parisienne, notamment le tableau final qui semble comme calqué sur celui imaginé par Benoît Jacquot : pendant l'interlude précédant la conclusion tragique, le décor s'ouvre pour laisser paraitre la chambre de Werther, qui s'avance petit à petit vers la salle en un étonnant effet de zoom...
Enfin, à la tête d’un toujours somptueux Orchestre du Metropolitan Opera, le chef français Alain Altinoglu offre une direction musicale qui s’avère un modèle d’équilibre. Richesse de timbres ou des couleurs – parfois wagnériennes –, elle conduit le drame à son dénouement avec une rare intelligence du propos. En tous points, un mémorable Werther !
Werther de Jules Massenet (en streaming) sur le site du Metropolitan Opera – disponible gratuitement (pour une durée de 24h) à partir du 11 mai à 19h30, heure de New York (et le 12 à 1h30 du matin, heure de Paris) dans le cadre des Nightly Met Opera Streams, puis de manière payante via l'offre Met on Demand.
11 mai 2020 | Imprimer
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