« Le meilleur Pelléas et Mélisande donné à Paris de ces quinze dernières années ! », telle était l’exclamation de notre consœur Albina Belabiod à l’issue de la première de l’ouvrage de Claude Debussy tel qu’imaginé par Eric Ruf pour le Théâtre des Champs-Elysées en 2017. Cette coproduction arrive enfin à l’Opéra de Rouen Normandie (après Dijon et Klagenfurt, et avant Toulouse où elle sera reprise en mars prochain), et vient d'être diffusée via les réseaux sociaux de l’opéra (sur Facebook et Youtube), comme le mélomane en a désormais l’habitude... Nous ne pouvons qu’adhérer à l'enthousiasme de notre collègue, grâce au parfait dosage distillé ici entre onirisme et réalisme, ainsi qu'à une direction d'acteurs tirée au cordeau.
Et la distribution vocale a de quoi enthousiasmer également. Le jeune baryton britannique Huw Montague Rendall campe un Pelléas à la voix claire et fébrile. Typique de la tessiture de « baryton martin », il porte les fragilités de son personnage à l’incandescence, jusqu’au frisson extatique qu’il procure en exhalant « Qu’il fait beau dans ces ténèbres ! », proféré dans un français immaculé, à l’instar de chacune de ses répliques. Rarement confié à des mezzos, le rôle de Mélisande est ici dévolu à Adèle Charvet, l’incarnation même de l’innocence égarée, à la fois débordante de vie et confondante de naturel, doublée d’une maîtrise vocale jamais prise en défaut, parfaitement à l’aise sur toute l’étendue de la tessiture. Troisième prise de rôle, Nicolas Courjal incarne un Golaud au timbre plus sombre que de coutume dans cet emploi, mais aussi plus grave et plus âpre, avec une diction particulièrement mordante. Il joue davantage également (cela tient à sa personnalité mais aussi aux rôles dont il est coutumier à la scène) sur la violence et l’intensité insoutenable du désespoir, offrant une prestation tout simplement saisissante !
Dans les rôles secondaires, Lucile Richardot (Geneviève) déploie un tissu vocal somptueux, aux harmoniques riches et colorés, des mots vibrants, une présence maternelle et protectrice, tandis que Jean Teitgen (déjà présent en 2017) offre sa grande humanité au vieil Arkel. Enfin, Anne-Sophie Petit campe un Yniold de caractère, tandis que le baryton franco-suisse Richard Rittelmann parvient à se faire favorablement remarquer dans les courtes interventions du Berger et du Médecin.
Longtemps plongé par les chefs d’orchestre dans un bain d’impressionnisme décadent et de langueurs exténuées, Pelléas et Mélisande a ensuite bénéficié d’approches plus diversifiées – notamment par la « révolution » opérée par le grand Pierre Boulez, avant que d’autres chefs apportent leur propre contribution à l’édifice. Ici admirablement suivi par un Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, le jeune chef français Pierre Dumoussaud offre, depuis une estrade placée au milieu du parterre, une synthèse aussi personnelle qu’extrêmement réussie de toutes les grandes interprétations du passé. Le son est clair et net, mais à l’intérieur d’un cadre dynamique en perpétuelle fluctuation, et les lignes mélodiques sont rendues avec autant de souplesse que de nuances. Surtout, on reste impressionné par le torrent d’émotions qui court sous la scintillante surface instrumentale, en écho aux drames intérieurs et aux névroses des différents personnages. Du grand art !
A noter qu’après ce live du 26 janvier, une diffusion sur France Musiques est également prévue le samedi 6 février à 20h : une séance de rattrapage est donc possible...
Pelléas et Mélisande de Claude Debussy à l’Opéra de Rouen Normandie, le 26 janvier 2021
Crédit photographique © Arneaud Berterau
29 janvier 2021 | Imprimer
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