Un Fidelio sauvé par la musique au Grand-Théâtre de Luxembourg

Xl_fidelio_wf_140 © DR

Les metteurs en scène semblent se méfier de plus en plus de la lettre du livret de Fidelio, et plus particulièrement de l’utopie rêvée par Ludwig van Beethoven, célébrant la victoire du bien sur le mal... Ainsi, cette production imaginée par le célèbre metteur en scène allemand (aujourd’hui octogénaire…) Achim Freyer (en partenariat avec les Wiener Festwochen) qui n’hésite pas à ridiculiser le propos comme les personnages du livret de Friedrich Sonnleithner.  En effet, les personnages de l'opéra ont été ici transformés en marionnettes statiques, outrageusement défigurés, et étagés sur trois niveaux. Au sommet se trouvent les « dirigeants » (Don Pizzaro et Don Fernando), au centre les « domestiques » qui vivent et travaillent dans la prison, et tout en bas les prisonniers, aux premiers desquels Florestan. Prisonniers du dispositif scénique conçu par Freyer himself (de même que les costumes et les lumières…), les protagonistes du drame n’entreront jamais en interaction, pas même au moment du sublime duo d’amour à la fin du II. Pour le reste, la direction d’acteurs est affligeante, à l’instar du traitement du personnage de Marzelline qui passe tout le temps de son air à se passer un fer à repasser sur la tête, puis les jambes, et enfin les seins… Navrant !

Par bonheur, la musique fait (presque) oublier les aberrations scéniques, grâce aux trésors de subtilités générés par la baguette de Marc Minkowski (que l’on avait déjà entendu dans l’ouvrage, au Festival de Verbier en 2015). L’Orchestre Philharmonique du Luxembourg épouse, avec une étonnante spontanéité, la vision tendue et dramatique du chef français : dès l’Ouverture, les attaques sont incisives, les rythmes souples mais énergiques. L’interprétation de Minkowski vise ici à l’universel, en proposant une lecture qui en magnifie le lent cheminement vers la lumière. Les airs sont introduits par de véritables miniatures instrumentales, visant moins à créer une atmosphère qu’à sertir le chant dans un contexte toujours plus tendu, jusqu’à la formidable libération de l’utopie finale.

Dans ce contexte, le chant d’une rare flexibilité des membres de l’Arnold Schoenberg Chor, prodigieux d’intensité dès les premiers murmures (« O welche lust ») qui accompagnent l’air de Pizarro, s’apparente presque à un prolongement vocal de la tapisserie instrumentale inlassablement tissée par l’orchestre. Il concourt à faire des dernières minutes de cette soirée, un grandiose moment de confraternité.

La distribution appelle également les plus vifs éloges. Le soprano dramatique, aux couleurs sombres, de Christiane Libor a d’abord quelque peine à se plier à l’écriture en filigrane du quatuor et du trio. Mais, dès les premières notes d’un « Abscheulicher » d’anthologie, le timbre s’épanouit en trouvant son assise, se déploie alors sans effort dans le récitatif et parcourt avec jubilation les méandres de cet air à la tessiture meurtrière, sans perdre une once de son énergie, ni de son brillant. Face à elle, le ténor allemand Michael König n’impressionne pas moins : son cri désespéré semble surgir du néant, se mêlant insensiblement aux voix de l’orchestre pour gagner en puissance et triompher finalement par son intense rayonnement. La couleur sombre de sa voix s’allie idéalement à celle de sa partenaire - quand bien même positionnés à dix mètres l’un de l’autre pendant leur duo -, et traduit avec une ivresse croissante le long chemin de Florestan vers la lumière libératrice.

De son côté, le baryton-basse russe Evgeny Nikitin est un Pizarro noir à souhait, d’une époustouflante puissance vocale. Avec son timbre clair et souple, la soprano franco-allemande Caroline Jestaedt est une Marzelline rayonnante, quand Julien Behr offre un Jaquino au timbre inhabituellement sombre dans cet emploi. L’excellent baryton allemand Franz Hawlata impose un Rocco plein d’aplomb et superbement chantant. Enfin, le baryton-basse américain Cody Quattlebaum convainc en Don Fernando, deus ex machina à la voix chaleureuse comme il convient.

Bref, encore une soirée sauvée par les voix et l’orchestre...

Emmanuel Andrieu

Fidelio de Ludwig van Beethoven au Grand-Théâtre de Luxembourg, les 5 & 7 décembre 2018

Crédit photographique © Monika Ritterhaus

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