Il Matrimonio segreto (1792) de Domenico Cimarosa occupe une position inconfortable : la proximité par les dates des opéras de Wolfgang Amadeus Mozart (qui est mort quelques mois avant) lance sur une fausse piste ; ce nouveau dramma giocoso n’emprunte rien à Lorenzo Da Ponte. « Opéra-bouffe » n’est pas non plus une définition entièrement satisfaisante, mais elle rapproche en tout cas des options prises par Stefano Mazzonis Di Pralafera, dont cette production liégeoise avait déjà été représentée, in loco, en 2008.
On y sent, de la part de l’homme de théâtre italien, une volonté de rythme et de vitalité qui n’a pas pris une ride en dix ans, une invention scénique perpétuellement renouvelée, au cours de laquelle les gags fusent à qui mieux mieux (notamment au travers d'une armada de serviteurs aussi indiscrets que gaffeurs). Et le plaisir des yeux n’est pas mince, grâce au décor unique mais fastueux (imaginé par le fidèle Jean-Guy Lecat) du salon de Don Geronimo et aux costumes (signés Fernand Ruiz) tous plus riches et élégants les uns que les autres. Enfin, Franco Marri élabore des éclairages soignés, complices du jeu tour à tour comique ou grinçant qui s’ordonne sur la scène, épousant les contrastes d’une partition où la clarinette de Mozart côtoie l’ébriété rythmique de Rossini. L’unité de la production est assez rare aujourd’hui pour être soulignée…
En ce qui concerne la partie musicale, c’est un plaisir garanti que de retrouver la musique de Cimarosa, pétillante, mousseuse, d’un rythme échevelé, moderne dans sa conception, avec ses finales impressionnants. Il faut beaucoup de talent, et une précision sans faille, pour jouer cet opéra, des qualités que le tout jeune chef belge Ayrton Desimpelaere (28 ans !), assistant musical de Speranza Scappucci ici-même, et le formidable Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège ont à revendre ! Il faut également citer le clavecin de Hilary Caine, aussi facétieux qu’anachronique, puisqu’il se permet de citer (dans certains récitatifs) des passages d’œuvres célèbres telles les Trompettes d’Aïda ou la Chevauchée des Walkyries !
La partie vocale n’est pas aisée car l’une des originalités de l’œuvre est la profusion des ensembles, à trois, quatre, voire six voix, exigeant de leurs interprètes des lignes vocales impeccables et un sens harmonique très sûr. Sur ce plan, les chanteurs réunis à Liège ne font pas tous face à ces exigences avec le même talent. Le meilleur élément en est la jeune soprano alsacienne Céline Mellon (sensuelle Zerlina ici-même en 2016), dont on admire le timbre fruité autant que l’assurance technique dans le rôle de Carolina. Sophie Junker (nez en trompette et menton en galoche) prête à sa sœur Elisetta un médium et des couleurs plus moirées, sans que le haut de la tessiture en soit sacrifié. Son « Qualche speranza » à la fin du II s’avère une des belles (et rares) satisfactions vocales de la soirée. Le ténor italien Matteo Falcier campe un Paolino séduisant de timbre et de ligne, malgré une projection encore timide et un aigu parfois étroit. De son côté, le belge Patrick Delcour est un Don Geronimo à bout de voix et de souffle, mais heureusement au métier idéal et au jeu hilarant. Avec une voix également fatiguée, la mezzo italienne Annunziata Vestri (Fidalma) n’existe que par son métier et sa vis comica, mais son portrait drolatique d’une veuve encore jeune et travaillée par ses sens vaut le détour. Quant à Mario Cassi (Le Comte Robinson), privé de la tierce grave du personnage, mais aussi de toute ligne vocale digne de ce nom, il prête à son aristocrate cynique des accents roturiers de Figaro cabotin et grimaçant.
Au final, l’astucieux livret comme le préromantisme musical finissent par triompher de tous les périls…
Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 27 octobre 2018
Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège
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