Pour la première nouvelle production issue de la main du nouveau directeur d’Angers Nantes Opéra, le choix d’Alain Surrans s’est porté sur la rare Cendrillon de Jules Massenet, et c’est une injustice enfin réparée que de la mettre à l’affiche, l’ouvrage n’étant pas le plus représenté du compositeur stéphanois, loin s'en faut ! De fait, le conte de Charles Perrault, revu par le librettiste Henri Cain, a donné à Massenet l’occasion de déployer ses talents d’orchestrateur avec un naturel et une subtilité qui font de ce « conte de fées » une de ses belles partitions. Et si le prétexte dramatique est un peu mince, la poésie le transfigure assez pour toucher le public.
Le metteur en scène italien Ezio Toffolutti – qui signe également les décors, les costumes et les lumières (!) – a conçu un spectacle où la féerie ne cède qu’à l’humour le plus raffiné et la tendresse la plus délicate. Il a imaginé un décor simplifié à l’extrême, quelques toiles peintes et quelques accessoires suffisant à meubler ici le plateau, telle la baignoire antique ornée d’une perle qui sert de carrosse à la Fée. Le spectacle fourmille ainsi d’idées plaisantes et de jolies trouvailles, à l’instar aussi des costumes vivement colorés et décalés pour les trois mégères, qui se baladent avec des robes à paniers sans étoffe pour les recouvrir (laissant ainsi entrevoir d’extravagants dessous). Les chorégraphies qu’Ambra Senatore (directrice du Centre chorégraphique national de Nantes) leur destine achèvent de les ridiculiser !
Dans le rôle-titre, la mezzo israélienne Rinat Shaham – bouleversante Octavie (L’Incoronazione di Poppea) in loco l’an passé – comble toutes les attentes en Cendrillon : voix ample et chaleureuse, particulièrement expressive, dotée d’aigus splendides et de superbes pianissimi. Elle trouve dans la mezzo nantaise Julie Robard-Gendre – inoubliable Orphée ici-même il y a quelques saisons – une interprète d’exception : son timbre riche, allié à un étonnant pouvoir d’émotion, traduit idéalement le mal de vivre et les premiers émois du Prince. On retrouve alors la véritable identité d’un rôle en travesti que la seule intégrale discographique avait jadis préféré confier à un ténor.
La jeune soprano québécoise Marianne Lambert est la perfection même : sa fée aérienne vocalise avec une assurance désarmante, entre trilles et suraigus, pleinement dans le style souhaité, avec une approche pleine de fraîcheur. Grande dame du chant lyrique, la mezzo britannique Rosalind Plowright, au-delà des quelques outrages du temps sur la voix, se montre tout simplement irrésistible en Madame de La Haltière. Truculente sans jamais tomber dans la vulgarité, dans un français excellent, elle « chante » de bout en bout le rôle, bien entourée par ses deux chipies de filles, Marie-Bénédicte Souquet en Noémie et Agathe de Courcy en Dorothée, copies conformes de leur mère, et aussi hilarantes l’une que l’autre. Autre chanteur de légende, malgré là aussi les scories inévitables à une si longue et brillante carrière, François Le Roux reste le fin diseur qu’il a toujours été, et surtout prête au personnage de Pandolphe un incroyable pouvoir d’émotion.
A la tête d’un Orchestre national des Pays de la Loire en grande forme, Claude Schnitzler rend parfaitement justice à la magnifique partition de Massenet. Toujours attentif au plateau, il épouse le propos de la mise en scène et fait ressortir à la fois les aspects comiques de l’œuvre et sa propension au rêve. Sa direction fluide privilégie avant tout les atmosphères et le chef alsacien se montre particulièrement à l’aise dans les passages de féerie, le Départ pour le bal ou le Chêne des fées.
Un spectacle dont l’on sort tout simplement heureux !
Cendrillon de Jules Massenet au Théâtre Graslin de Nantes, jusqu’au 4 décembre (puis au Grand Théâtre d’Angers les 14, 16 & 18 décembre) 2018
Crédit photographique © Jean-Marie Jagu
01 décembre 2018 | Imprimer
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