Une enthousiasmante Dame blanche de Boieldieu à l'Opéra de Rennes

Xl_la_dame_blanche_rennes_1___r_mi_blasquez © La Dame blanche à l'Opéra de Rennes - Caroline Jestaedt & Sahy Ratia (c) Rémi Blasquez

Le soir de la première de La Dame Blanche, le 10 décembre 1825, les musiciens de l’Opéra-Comique vinrent donner la sérénade à François-Adrien Boieldieu sous ses fenêtres. Quand il s’agit de faire monter tout le monde chez le Maestro, il y eut des problèmes de place. Gioacchino Rossini, qui habitait le même immeuble, ouvrit son appartement et c’est chez le champion de la clarté latine que fut célébré le triomphe de la vogue des fantômes et des châteaux hantés (écossais). Car à l’époque, l’opéra suivait la mode et Walter Scott faisait alors fureur. La Dame blanche consacrait aussi le succès de l’opéra-comique français, qui allait connaître ses grands jours, en même temps que celui de Boïeldieu, dont la carrière, commencée pendant la Révolution, était déjà parsemée de jolis succès dans le genre gracieux qui avaient pour titre Ma Tante Aurore ou Les Voitures versées. Remis à l’affiche de l’Opéra-Comique en février dernier (dans une mise en scène de Pauline Bureau qui sera reprise en janvier prochain à l’Opéra Nice Côte d'Azur), l’ouvrage semble retrouver aujourd’hui la faveur de nos théâtres hexagonaux, comme en témoigne cette nouvelle production de l’Opéra de Rennes (en coproduction avec la Co(opera)tive), confiée à Louise Vignaud et finalement diffusée sur Facebook Watch, puisque les salles de spectacle devront rester portes closes jusqu‘au moins le 7 janvier prochain...


Fabien Hyon, Sandrine Buendia et Sahy Ratia, La Dame Blanche

Et si l’œuvre n’est pas souvent jouée, le problème ne semble pas venir de la partition : les accents rossiniens, l’orchestration léchée, les mélodies qu’on chantonne à la sortie ont tout pour plaire encore… Le problème est que le livret s’avère un défi à la bonne volonté des metteurs en scène et des spectateurs : cette histoire d’héritier d’une grande famille écossaise, ignorant de sa véritable identité, qui se retrouve sans faire exprès dans le château de ses ancêtres et décide de le racheter avec l’aide discrète d’une jeune orpheline dont il est amoureux depuis qu’elle l’a sauvé à l’issue d’une bataille… prête en effet à sourire gentiment. Mais le ridicule culmine quand la demoiselle se déguise en fantôme (la fameuse « Dame blanche ») pour lui donner des conseils sans qu’il reconnaisse l’objet de sa flamme… Louise Vignaud, issue du monde du théâtre et qui signe là sa première régie lyrique, a transformé l’histoire en un conte animalier. Elle a commencé par faire réécrire les dialogues (par Pauline Noblecourt), d’une part pour les moderniser, mais aussi pour inscrire plus d’humour dans cette histoire abracabrantesque, avec moult clins d’œil et apartés à l’attention des spectateurs (au final absents). La scénographie imaginée par Irène Vignaud renvoie à une Ecosse et à un Moyen-âge fantasmés et de carton-pâte, qui a quelque chose à voir avec notre enfance. Mais l’essentiel ici, outre la direction d’acteurs affûtée de la metteure en scène, ce sont les nombreux costumes chamarrés et zoomorphes de Cindy Lombardi, qui évoquent tous tel ou tel animal : une chouette effraie pour la Dame blanche, un coq au somptueux plumage pour le héros (à l’instar du chef d’orchestre !), une araignée pour Marguerite (la vieille gardienne du château), un scarabée pour le méchant Gaveston, tandis que l’excellent chœur du Cortège d’Orphée sont des faunes arborant cornes… et kilts !


Yannis François, Fabien Hyon, La Dame Blanche, Opéra de Rennes


Majdouline Zerari, Caroline Jestaedt, La Dame Blanche, Opéra de Rennes

Le héros de la soirée est aussi le héros de l’histoire, le jeune ténor malgache Sahy Ratia (qui nous a accordé une brève interview) confirmant ici les espoirs nés de son Nemorino à l’Opéra d’Avignon l’an passé. En plus d’une approche technique très sûre, il possède l’exacte vocalité du rôle, avec des couleurs pleines de diversité, et une texture vocale qui sait se plier aux différentes facettes de Georges Brown, type parfait du ténor d’opéra-comique tel qu’il s’insère dans l’esthétique de la première moitié du XIXème siècle, alliant chant élégiaque, distinction et souplesse de la ligne, précision du trait et de l’ornementation. Avec autant de qualités, il ne fait qu’une bouchée de ses deux airs « Ah, quel plaisir d’être soldat ! » et le célébrissime « Viens, gentille dame ». Bravo à lui !

Dans le rôle d’Anna (la Dame blanche), la jeune soprano colorature belge Caroline Jestaedt se joue des vocalises de son personnage, mais manque en revanche encore de réel poids scénique, ce qu’elle acquerra sans nul doute avec plus d’expérience de la scène. La charmante soprano Sandrine Buendia, qui nous avait tant plu en début de saison en Despina (Cosi fan tutte) au Théâtre du Capitole, est une Jenny espiègle avec un timbre d’une certaine qualité dans le médium et une agilité appréciable dans les vocalises, tandis que Fabien Hyon campe un Dickson de belle facture, plein d’entrain, toujours justement dosé. De son côté, le baryton guadeloupéen Yannis François prête sa haute silhouette à Gaveston, ainsi que ses beaux graves, mais le registre aigu s’avère plus problématique. Enfin, Majdouline Zerari nous régale, avec son mezzo mordoré, dans son air « Fuseaux légers, tournez ». 

A la tête d’un Orchestre Les Siècles réduit à dix-neuf instrumentistes (à la fois pour respecter les règles sanitaires, et parce que le spectacle a vocation à tourner par la suite un peu partout en France), Nicolas Simon (chef associé de la phalange « d’époque » depuis 2014) propose une direction précise, dynamique, enlevée et pleine d’humour.

Vivement la reprise niçoise de cet ouvrage attachant !

Emmanuel Andrieu

La Dame blanche de François-Adrien Boieldieu à l’Opéra de Rennes (disponible sur Facebook Watch)

Crédit photographique © Rémi Blasquez

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