Uwe Eric Laufenberg signe un Parsifal humaniste au Festival de Bayreuth

Xl_parsifal © Mauricio Nawrot

Parsifal, le testament de Richard Wagner, fait figure, plus que tout autre opéra du compositeur allemand, de « vache sacrée » à Bayreuth. Créé ici-même au Palais des festivals en 1882, l'ouvrage a été pendant trente ans exclusivement réservé à la salle du Festspielhaus (selon le souhait de Wagner, qui a cependant connu quelques entorses...), et fut ensuite l'apanage (pour sa mise en images) de la seule famille Wagner in loco, jusqu'à ce que Götz Friedrich, en 1982, ne brise la règle. Succédant à celle de Stefan Herheim, la nouvelle production de Parsifal - confiée à Uwe Eric Laufenberg - assume la « tradition », tout en proposant une vision suffisamment décapante pour ne pas être accusée de reprise en main.

Le rideau s'ouvre sur l'intérieur d'une église chrétienne - située en plein Moyen-Orient (dans la région de Mossoul en l'occurence) et en partie éventrée par des tirs d'obus – où trône un baptistère en forme de grande coupe de marbre blanc (photo). Des militaires y entrent bientôt qui harcèlent les moines qui y résident, parce qu'ils hébergent des réfugiés fuyant la guerre qui fait rage dehors. La fameuse scène de la flèche transperçant un cygne est ici accompagnée par celle de la mort d'un enfant, symbole de l'innocence. Le rituel qui suit, celui d'Amfortas revivant la Passion du Christ, est particulièrement sanglant puisque des moines le scarifie jusqu'à ce que des petits flots de sang lui parcourent entièrement le corps, le précieux liquide étant ensuite recueilli et bu - comme s'il s'agissait de vin - par la congrégation.
Le deuxième acte offre le même décor : la partie supérieure du dispositif scénique sert de lieu de vie à Klingsor, une pièce où s'entasse des dizaines de Christ en croix (alors que, lui, s'est converti à l'Islam...), tandis que la partie basse est transformée en Harem/Hammam où les filles-fleurs – entièrement recouvertes de voiles islamiques – viennent aguicher Parsifal. Elles se débarrassent ensuite de leurs voiles pour laisser apparaître de légères tenues orientales et colorées, et elles l'entraînent dans un bassin après l'avoir déshabillé également. Après la vaine entreprise de séduction de Kundry, Parsifal sort également vainqueur du combat avec Klingsor : au moment où il brise la fameuse lance, toutes les croix de sa demeure s'effondrent au sol.
Le dernier acte laisse entrevoir une sorte de paradis terrestre avec unevégétation luxuriante, et, bientôt, des cascades d'eau fraîche (pendant l'Enchantement du vendredi Saint). Kundry est devenue une très vieille femme qui pousse Gurnemanz dans un fauteuil roulant. Au retour de Parsifal, retrouvant un peu de vigueur à son contact, elle lui lave les pieds, puis se sert de ses longs cheveux gris pour les essuyer. Il est temps pour lui de célébrer l'office au milieu d'une communauté de religieux désunie, certains arborant des signes de confession musulmane, juive ou chrétienne. Après avoir déposé la lance sacrée (qu'il brise d'abord) dans le tombeau de Titurel, tous les fidèles y jettent leurs oripeaux distinctifs (croix, kippas, corans etc.), tandis que la coupole de l'église s'entrouvre et que le Festspielhaus lui-même s'illumine, comme pour inviter les spectateurs à la même communion fraternelle, en dehors de tout carcan religieux. L'union des hommes doit se faire grâce à l'Art et à la Musique semble nous dire Laufenberg, option qui ne peut que toucher au cœur les deux mille spectateurs réunis dans la mythique salle... et qui bouleverse en tout cas votre serviteur...

Trois mois après son incarnation du chaste fol au Teatro Real de Madrid, Klaus Florian Vogt confirme qu'il est LE Parsifal de sa génération, et nous renvoyons le lecteur vers l'énonciation des qualités de son chant que l'on retrouve à l'identique ce soir. De son côté, la soprano russe Elena Pankratova – magnifique Fidelio la saison passée au Grand-Théâtre de Genève – s'avère dramatiquement hallucinante, et surprend par la qualité et la maîtrise de sa voix qui lui permettent de triompher de toute la tessiture de Kundry sans forcer ses moyens naturels. En Gurnemanz, la basse allemande Georg Zeppenfeld – qui chantait le rôle du Roi Marke la veille in loco – remporte un triomphe grâce à son éloquence puissante et nuancée. Le jeune baryton-basse américain Ryan McKinny exprime, en magnifique tragédien lyrique qu'il est, tout la déchirure d'Amfortas, avec une prononciation parfaite de la langue de Goethe. Dans le rôle de Titurel, enfin, Karl-Heinz Hener offre une bonne prestation, tandis que - seule ombre au tableau vocal ce soir - Gerd Grochowski ne possède de Klingsor que les rugosités.

Remplaçant Andris Nelsons initialement prévu, le chef allemand Hartmut Haenchen offre une lecture de la partition où la tension dramatique – à ne pas confondre avec émotion – est soutenue ; il obtient du somptueux Orchestre du festival de Bayreuth des sonorités d'une beauté inouïe, optant pour un tempo plutôt vif au I (1H40 de musique), une dynamique contrastée au II, tandis qu'il allège la texture au III, qui va dans le sens (lumineux) de la proposition scénique. Mais s'étonnera-t-on que, une fois encore à Bayreuth, ce soit le Chœur maison qui tienne la vedette dans Parsifal ?

Emmanuel Andrieu

Parsifal de Richard Wagner au Festival de Bayreuth, jusqu'au 28 août 2016

Crédit photographique © Enrico Nawrot

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