Offenbach dans la vraie vie avait manqué à l’Opéra Comique ! Un Voyage dans la Lune capté, une Belle Hélène transformée en Concert de gala pour salle vide, c’est bien ; le spectacle vivant depuis la salle, c’est mieux. Et voici que La Périchole débarque Salle Favart, suscitant les acclamations du public venu nombreux. On a personnellement été moins transporté par la mise en scène de Valérie Lesort – nouvelle coqueluche de la maison depuis Le Domino noir d’Auber en 2018 –, dont on retient davantage l’exceptionnelle création de costumes (Vanessa Sannino) que l’homogénéité théâtrale ou certaines blagues potaches (voire graveleuses). Elle essaie de noyer le poisson sous des chorégraphies punchy peu utiles et des compositions colorées qui dévient l’œil de l’essentiel. Cependant, on ne boude jamais son plaisir devant une Périchole, et celle-ci a le mérite de cocher les cases relativement convenablement.
Heureusement que la distribution a assez de bouteille pour utiliser un bagage de jeu dont Stéphanie d’Oustrac, extraordinaire actrice, est cheffe de file. Vénale ou amoureuse, elle sait tout faire dire à sa Périchole par le moindre regard. Le placement luxueux de la voix parlée s’accorde à l’utilisation du corps pour partir joyeusement à l’assaut du texte comique. On ne comprend en revanche pas bien ses intentions dans une ligne de chant souvent hachée, qui ne trouve d’accomplissement que dans son air de griserie. Elle veut tellement en faire que la phrase a du mal à se frayer un chemin clair et indivisible, ce qui ne fait pas toujours du bien à la justesse, notamment au premier acte. Philippe Talbot n’extrait malheureusement pas Piquillo de la fadeur gentiment efficace et professionnelle. Si un véritable engagement d’acteur lui fait bien défaut, c’est sans doute l’émission, souvent dans la force, qui l’empêche de fluidifier et embellir sa prosodie. Le reste des chanteurs montre ses talents dans le petit périmètre qui leur est dévolu, à commencer par le Vice-Roi de Tassis Christoyannis, qui d’une voix pesée et affranchie des règles circule dans l’ouvrage. L’impayable Éric Huchet (qu’on interviewait il y a quelques jours) entraîne une grande satisfaction sonore et comique en Don Miguel, tandis que Lionel Peintre incarne un Don Pedro drôlement machiavélique. L’assortiment charnu des trois cousines Julie Goussot, Marie Lenormand et Lucie Peyramaure se révèle d’une évidence absolue. Quentin Desgeorges et Thomas Morris forment un truculent duo de notaires, mais il ne faut pas oublier le Prisonnier lumineux du second chanteur. On pardonnera les décalages du chœur Les éléments – il est régulièrement en avance – avec l’orchestre, car le velouté et le robuste s’y affrontent et s’y complètent.
La suprême musique d’Offenbach est un diamant brut sous la battue sur-mesure de Julien Leroy. Le chef encercle l’Orchestre de chambre de Paris de volumes d’harmonies narratives qui suivent l’avancée des accords. Chaque tonalité exprime sa valeur inestimable d’un seul trait, donne tout dès la première goutte de matière sonore, dans un effet « boîte à musique » à grande échelle. Un phrasé sans faille naît de l’alliage pointé / louré, pointillisme élancé qui trouve sa pleine signification grâce aux instrumentistes. Ces champions d’écoute et de synchronisation enlacent les cordes, incluent les bois dans un bain chaud de notes et de caractères. Un Orient-Express, en somme, dont Julien Leroy serait la locomotive joyeuse et le protecteur frénétique de la cassette à modulations. Offenbach est donc bien de retour pour les spectateurs de l’Opéra Comique.
Thibault Vicq
(Paris, 15 mai 2022)
La Périchole, de Jacques Offenbach, à l’Opéra Comique (Paris 2e) jusqu’au 25 mai 2022
Crédit photo (c) Stefan Brion
16 mai 2022 | Imprimer
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