L’Apocalypse arabe, en création mondiale à LUMA Arles pour le Festival d’Aix-en-Provence

Xl_l_apocalypse_arabe_0010 © Ruth Walz

Quand la poétesse et plasticienne américano-libanaise Etel Adnan commence son recueil L’Apocalypse arabe (en français) en 1975, le monde ne se préfigure pas encore la longue durée de la guerre civile que le Liban commence à vivre, ni même la montée du djihadisme ou l’impossible résolution du conflit israélo-palestinien. Le soleil, à la fois remède et fardeau du monde arabe, irrigue ces 59 poèmes prophétiques jouant sur le rythme des mots. La polysémie de l’astre, levant et couchant, créateur et destructeur, de vie et de mort, inspire donc un oratorio au compositeur Samir Odeh-Tamimi, à partir de 23 segments de l'oeuvre originelle et qui fait l'objet d'une création mondiale au Festival d’Aix-en-Provence. En 2016, fort alors de sa casquette de metteur en scène, Pierre Audi avait demandé au compositeur d’élaborer cinq minutes de musique entre les deux parties de la Passion selon saint Jean donnée au Klarafestival de Bruxelles. Samir Odeh-Tamimi a ainsi puisé sa matière textuelle dans l’ouvrage d’Etel Adnan, et chemin faisant, une commande pour le Festival d’Aix s’est imposée au moment où Pierre Audi en est devenu le directeur général.


L'Apocalypse arabe de Samir Odeh-Tamimi - mise en espace de Pierre Audi - Festival d'Aix-en-Provence 2021 © Ruth Walz


L'Apocalypse arabe de Samir Odeh-Tamimi - mise en espace de Pierre Audi - Festival d'Aix-en-Provence 2021 © Ruth Walz

Ce geste artistique sur un matériau littéraire de sang et de larmes prend place à LUMA, « campus créatif interdisciplinaire » porté par la Fondation Luma de la collectionneuse d'art Maja Hoffmann et installé sur une ancienne friche ferroviaire, inauguré il y a à peine deux semaines à Arles. Une tour dessinée par l'architecte Frank Gehry (le nouveau symbole de la ville), un jardin (moustique-friendly et où on entend coasser à la tombée de la nuit), une réhabilitation des sept usines qui composent le Parc des Ateliers : LUMA annonce son ambition. Car il en fallait pour ouvrir sa programmation pendant les Rencontres photographiques avec cet oratorio dans la Grande Halle !

La musique rituelle et incantatoire, faite de chaînons manquants, parle à la fois de l’avenir, du présent et du passé. Le chef Ilan Volkov dirige les instrumentistes de l’Ensemble Modern dans les méandres de l’écho et dans la résurgence cathartique. Il est beaucoup question des bruits de la ville, des cris de douleur et des coups de feu à l’orchestre. On se sent témoin malgré soi d’ardents soulèvements ou de tragiques violences. Les craquellements, frictions et débris musicaux sont à la fois prenants et repoussants, intenses et intimes. Ils englobent les souffrances multiples du Moyen-Orient. L’éruption orchestrale est sporadique, dans la continuité du sprechgesang (parlé-chanté) des voix. La musicalité innée des vers d’Etel Adnan, entourée de mythes et de prédictions, étend son abécédaire itératif et symbolique jusqu’à la transe.

Un chœur – à cinq têtes bien faites (Camille AllératPauline Sikirdji, Fiona McGown, Camille Merckx, Helena Rasker) – semblable à celui de la tragédie grecque énonce, scande ou chante les mots de la poétesse, à l’unisson ou en complémentarité. Le baryton néerlandais Thomas Oliemans incarne un Témoin habité, dans l’agonie physique et la magnificence de la diction. Il inculque une substance monumentale à ce texte non-linéaire et descriptif, la voix gorgée d’insurrection et de soutien fort de graves interstitiels jusqu’à une puissante voix de tête. La prosodie décolle du papier avec une aisance déconcertante pour se propager dans les volumes de la Grande Halle, à travers les hauts-parleurs.

La mise en espace sobre de Pierre Audi – la nature du texte n’en nécessite pas plus – joue adroitement de la symétrie et des incompatibilités de formes. Le public est disposé en « parenthèses » autour de l’Ensemble Modern. Dans la longueur, un carré et un cercle se font face. Au-dessus de l’orchestre, un écran projette d’abord des extraits d’entretiens d’Etel Adnan, puis des images de maisons calcinées et de lieux vidés de ses occupants par la guerre. Sur chaque côté du rectangle, des estrades sont le théâtre des exodes du Témoin ou du Chœur, sous les éclairages de couleurs primaires. Les symétries axiales régissent cet univers étouffant, faisant d’Etel Adnan une pythie des temps modernes, visionnaire du destin tragique que connait le Liban encore aujourd’hui.

Thibault Vicq
(Arles, 5 juillet 2021)

Crédit photo © Ruth Walz

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