Des talents, il y en a toujours à la Verbier Festival Academy, et notamment au sein de son Atelier Lyrique, qui dispense chaque été un coaching vocal et théâtral à de jeunes chanteurs. Deux récitals de mélodies à l’Église de Verbier nous ont par exemple généré quelques coups de cœur musicaux : Mendelssohn par une voix magique aux possibilités infinies (la soprano Theresa Pilsl), des lieder de Schubert suspendus et mis à hauteur de parole humaine (le baryton Olivier Bergeron), ou encore une Canzonetta spagnuola de Rossini dépassant la virtuosité par la dramaturgie des mots (la mezzo Mira Alkhovik). C’était sans compter l’habituel opéra de fin de festival, ici Hänsel und Gretel de Humperdinck, intelligiblement mis en espace par Tim Carroll dans la Salle des Combins, dont la température intérieure ressentie se mariait bien avec l’évocation du four à pain d’épice…
Kady Evanyshyn croque le rôle d’Hansel avec une complexité étonnante. La voix s’agrippe à l’harmonie pour ne plus la lâcher. L’élasticité joueuse du premier tableau se transforme en détaché angulaire, puis en tracés directs et instinctifs. Le jeu sciemment gauche se réfère à la précipitation du personnage plutôt qu’à son âge. En lui donnant une chance hors de sa seule enfance, la mezzo-soprano lui jalonne un parcours vers la maturité. Le timbre cacaoté de Sofie Lund respire l’idéal optimiste, avec une touche d’amertume qui en souligne la singularité. L’élégante résine de l’émission tend toutefois à retenir le son, et empêche sans doute de défendre une progression franche. La sidérante Sorcière du ténor Michał Proszyński s’apparente à une vieille dame possessive, cruelle par nécessité, méchante par solitude. Les notes abricotées possèdent chacune leur glaçage lissé, tout en s’insérant dans la confiture d’une Sachertorte musicale équilibrée et aérée. Dennis Chmelensky, que nous avions déjà pu apprécier dans Un bal masqué de Verdi pendant cette édition du Festival, transcende la figure de Peter. Il combine les plaisirs simultanés du chocolat chaud, des chamallows et des oursons gélifiés en digestion immédiate. Sa superlative réglisse sonore diffuse un arôme sans fin, mâtiné de tendresse et d’allégresse. Un artiste à suivre de très près ! Katrine Deleuran campe quant à elle une mère-colère surpuissante de sang froid en couleurs aquarelles. Les nuages cotonneux portés par Henna Mun sont en symbiose avec le poids des paupières que son Marchand de sable ambitionne, et la Fée Rosée de Petra Radulović avance efficacement dans ses trajectoires.
Trois ans après La Flûte enchantée, Stanislav Kochanovsky reprend, au faîte de ses moyens, les rênes du Verbier Festival Junior Orchestra. Avec Hansel et Gretel, il polarise instruments graves et aigus en extrémités mobiles du bien et du mal, entre lesquelles évolue un univers de sensations, de volumes tourbillonnants. C’est vraiment la plénitude d’une nature germanique, à la verdure boisée, que le chef cherche à rencontrer. Il ouvre les harmonies comme des portes immenses vers des mondes parallèles, mais surtout, il considère la modulation du point de vue du glissement plutôt que de celui du départ ou de l’arrivée pour orienter la phrase. Sixtes napolitaines sublimées ou cadences tectoniques servent de support à une mixture orchestrale dans un chaudron crépitant de métamorphoses. Nous savions que la musique de Humperdinck était un joyau ; Stanislav Kochanovsky en fait un diadème. Les adolescents du Verbier Festival Junior Orchestra chantent et rythment à tout rompre, reconnaissant la grande direction qu’ils reçoivent. Ils fournissent le maximum, peut-être parfois trop par rapport aux voix, mais font nager les personnages dans un océan de sincérité pour rendre leur émergence encore plus remarquable encore. Le hautbois scintillant, les cuivres ronds et les cordes adhésives sont les premiers signes de musiciens qui, à moins de 18 ans, sont promis à un avenir lumineux.
Thibault Vicq
(Verbier, 31 juillet 2022)
Crédit photo (c) Evgeny Evtyukhov
01 août 2022 | Imprimer
Commentaires