Le charme contagieux de Benvenuto Cellini à l’Opéra Royal de Versailles

Xl_benvenuto_cellini__pascal_le_m_e © Pascal Le Mée

En ce premier dimanche de rentrée, Versailles semblait être the place to be, pour les visiteurs et les spectateurs. L’indicateur de foule – déjà nombreuse à vue de d’œil – se mesurait à la quantité de vendeurs à la sauvette proposant des porte-clés Tour Eiffel à l’entrée du château. L’Opéra Royal, ouvrant sa saison des 250 ans, a fait salle comble avec une version semi-scénique (et en costumes) de Benvenuto Cellini, de Berlioz. Petite particularité : le plateau accueillait un décor de Pierre-Luc-Charles Cicéri de 1837 représentant la perspective de la galerie versaillaise des Batailles (inaugurée par Louis-Philippe). Le compositeur aurait dirigé près de quatre cents musiciens lors d’un concert en 1848 en logistique équivalente. Si le décor n’a de fait rien à voir avec Benvenuto Cellini, il nous plonge directement dans le contexte de la création (le peintre était décorateur de l’Opéra de Paris, où a eu lieu la première malheureuse un an avant le dévoilement des toiles). La magie de la représentation fait alors que les reliefs en trompe-l’œil s’unissent à ceux, bien réels et remarquables, des musiciens, déjà réunis fin août au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André.

L’exubérance et les excès de cette partition épileptique sont tout d’abord rendus avec grande conviction par des chanteurs faisant oublier aisément l’absence de décors et nous invitant à imaginer les espaces les plus fous. L’impressionnant Monteverdi Choir tient son rôle délicat avec aplomb, notamment par sa précision rythmique exceptionnelle. La voix du peuple gronde d’un seul tenant et les deux grandes scènes du carnaval et de la coulée de la statue font l’effet d’une transe collective, tant les clairs changements de notes, la bluffante diction et l’étonnant parcours laissé à une musicalité promeneuse dans cette euphorie chorale nous estomaquent. Michael Spyres, dans le rôle-titre, mérite lui aussi la tête de gondole pour son aisance à tous les niveaux. Un contre-ut ? Une broutille. Jouer la comédie ? Trop facile. La respiration discrète fait corps avec la concentration du son pour cette série de pirouettes techniques sans temps mort. Son accessibilité, comme s’il s’adressait directement à chacun de nous, exerce toujours autant la même fascination. Une légère baisse de régime dans le dernier quart ne suffira pas à entacher ses glorieux mérites.

Le Fieramosca de Lionel Lhote s’avère lui aussi de très grande tenue : un méchant vil et bouffon comme il se doit, et dont l’articulation du phrasé fait des merveilles. La mezzo Adèle Charvet campe un exquis Ascanio, d’égale coquetterie avec le baryton Ashley Riches (Bernardino), qui sème la gaieté par ses vocalises généreuses, et jamais bassement voltigeuses. Sophia Burgos est une Teresa un peu contrainte et aigre, nécessitant des regards vers les surtitres. À trop vouloir suivre les indications musicales à la lettre, elle perd sa liberté dans un legato envahissant (au demeurant superbement exécuté). Au-delà d’attaques trop hautes, il suffirait pourtant de peu pour qu’elle rende pleinement justice à ses moyens et à son travail en profondeur qui se décèlent dans ses arias partagés. Tareq Nazmi, en Pape Clément, possède également le défaut de ses qualités : un timbre joliment dessiné à la projection facile, et une volonté trop marquée de remplir les volumes. C’est sur le plan du placement et des enchaînements que le Balducci de Maurizio Muraro satisfait moins, malgré un ciblage de notes soigné.

Que dire de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique et de son directeur musical Sir John Eliot Gardiner, à part que le régal de l’écoute et l’exigence de la fidélité musicale priment fabuleusement ? Les cuivres et les percussions gaillards prennent parfois par surprise, des glissades dessinent des didascalies invisibles, et un son compact de cordes à se pâmer réchauffe l’atmosphère. « Que voulez-vous ? La cave est vide », dit le cabaretier à l’acte II. « Que dis-tu là, cervelle aride ? », lui rétorque à raison Cellini. Pas besoin de vin pour griser lorsque ces instrumentistes sont dans les parages !

Thibault Vicq
(Versailles, le 8 septembre 2019)

Crédit photo © Pascal Le Mée

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