
L’Académie de l’Opéra national de Paris aime-t-elle tant L’isola disabitata de Haydn pour la programmer de nouveau trois ans et demi après une précédente production avec l’Opéra de Dijon ? Non pas que l’œuvre soit indigne – elle recèle de jolies pages, des récitatifs grand format et un finale à quatre solistes vocaux et instrumentaux –, mais avec ses quatre solistes (en double distribution), elle ne donne pas forcément leur chance à tous les jeunes artistes en résidence dans des rôles conséquents. Et au regard de la programmation autrement plus ambitieuse des années précédentes – ne serait-ce que Street Scene de Weill à la MC93 en 2024 et L’Échelle de soie de Rossini à l’Athénée en 2023 –, la comparaison n’est pas spécialement à l’avantage de ce spectacle juste plaisant.
Pour raconter les retrouvailles sur une île déserte d’un couple (Costanza la mezzo et Gernando le ténor) séparé par les coups du sort quelques années auparavant, et le coup de foudre de leurs accompagnateurs respectifs (Silvia la soprano et Enrico le baryton), l’Académie a fait appel à un de ses anciens résidents en mise en scène, le danseur Simon Valastro. On passera sur la note d’intention fourre-tout et scolaire, où tout est martelé deux fois, même ce qui n’a rien à voir avec le schmilblick. « Ce cadre naturel et intemporel m’a fait réfléchir sur le rôle de la nature dans le processus de reconstruction personnelle et émotionnelle » : à part un rocher tournant (qui a d’ailleurs rencontré un problème technique dans les premières minutes) et des cailloux bruyants, on n’a pas vu grand-chose qui accompagne l’isolement des personnages, d’autant que la direction d’acteurs, très succincte, engendre parfois un certain embarras. Cela n’enlève en rien l’énergie qu’il jette généreusement sur les quatre chanteurs et un danseur bluffant (Nicolas Fayol, dans le rôle hélas inutile d’une biche), dont les mouvements se substituent à la dramaturgie – courir devient une forme de rapidité du langage –, dans un ancrage au sol. Bien que Simon Valastro ne se mouille pas vraiment sur le sens de son illustration littérale, la soirée suit gentiment son cours.
L'Isola disabitata - Amphithéâtre Olivier Messiaen (2025) (c) Vincent Lappartient - Studio J adore ce que vous faites
La promotion actuelle de l’Académie perpétue sa tradition de promesses tenues. La Costanza vif-argent de Sofia Anisimova, d’une élégance rare, chante chaque note depuis la racine, accompagnée de son contexte musical. Le son, comme habité de couches assorties, s’intercepte dans sa profondeur, son sillage et son drame intrinsèque. La soprano Sima Ouahman réussit à écrire son orientation de phrase par l’attaque, point de départ d’une évolution éprise de liberté. L’esprit fin et l’agilité facétieuse nourrissent des lignes incarnées – les plus vivantes du quatuor –, qui plus est dans des récitatifs radieux. Les fréquences du ténor Bergsvein Toverud montrent toute l’ampleur de leur cartographie, en océans ductiles et en montagnes imposantes, à la portée d’un souffle royal, et dans un vibrato qui se fond dans la texture de l’émission. Par Luis-Felipe Sousa, Enrico se caractérise par la calme constance des registres et la linéarité de ses intentions. Il n’utilise pas l’aria en moment de bravoure ostentatoire, mais en instant de jeu délimité par la voix, même si certains aigus nécessitent encore un peu de propreté pour s’insérer au flux global.
Sur le côté de la scène, les instrumentistes en résidence à l’Académie et l’Orchestre Ostinato (dont flûte, basson et violoncelle solos se distinguent particulièrement) se réunissent dans une très louable coordination de l’articulation, sous la baguette de François López-Ferrer, qui définit les accords par les basses et donne une égale importance aux mélodies et aux motifs secondaires (voire un peu trop aux cors et aux hautbois). Le magma reste homogène, pour un attirail musical d’une nouvelle nature à chaque nouvelle inflexion, dans la couleur de l’accompagnement des récitatifs. Le chef pose les contrastes sans jamais les exacerber, apporte une base solide sans la subvertir. Le travail est réfléchi et bien mené ; il lui manque peut-être la touche de fantaisie qui hisse les œuvres légères au niveau du boss final.
Thibault Vicq
(Paris, 12 mars 2025)
L’isola disabitata, de Joseph Haydn, à l’Opéra national de Paris (Amphithéâtre Olivier Messiaen) jusqu’au 21 mars 2025
N.B. : 2e distribution avec Amandine Portelli (Costanza), Isobel Anthony (Silvia), Clemens Frank (Enrico) et Liang Wei.(Gernando)
13 mars 2025 | Imprimer
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