Opera Fuoco souffle ses 20 bougies au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_dscf7635 © Thibault Vicq

Les anniversaires ont eu le vent en poupe ces dernières années dans les programmations. Après, notamment, les 20 ans du Concert d’Astrée en 2021, les 30 ans des Talens Lyriques en 2022, ou les 30 ans d’accentus l’année dernière, c’est au tour d’Opera Fuoco d’armer les festivités, pour ses 20 printemps. La compagnie, cofondée par le chef David Stern – depuis lors son directeur musical, qu’on a récemment interviewé – propose depuis 2008 un Atelier Lyrique d’une durée de trois ans pour les jeunes chanteurs, saupoudré de masterclasses et de représentations pour plonger dans le métier sous un regard bienveillant. Ce soir, au Théâtre des Champs-Élysées, les promotions se croisent, aux côtés de guest stars, dans un répertoire rappelant les fondations musicales construites par Opera Fuoco au cours des deux dernières décennies.

Les pièces purement instrumentales ne font pas vraiment forte impression... L’ouverture d’Arianna, de Benedetto Marcello, est inondée d’attaques au petit bonheur la chance quant à la synchronisation et à la justesse, noyée dans des équilibres sonores désinhibés, et traversée d’imprécisions de trompettes. Pour celle de L’amor conjugale, de Giovanni Simone Mayr, l’homogénéité n’est guère de mise, et David Stern tente en vain de faire avancer un orchestre dont on dirait que les pupitres se sont décidés à ne pas être ensemble. Ceux-ci se rattrapent largement sur Haendel, où l’on peut ressentir le plaisir de la matière. Le chef fait entendre la profondeur des accords et exprime subtilement la carrure des mesures par la gourmandise de la mélodie, tandis que les basses se lisent en sillage filant des aigus. Chez Haydn, Opera Fuoco se distingue par une réactivité organique dans les récitatifs, puis construit son propre feu de l’intérieur. Mozart, signature de l’orchestre (comme en attestait le spectacle We are eternal, en 2023), est source de sensations mitigées. Autant les notes étrangères font toujours leur petit effet et l’écoute reste généralisée parmi les musiciens, une impression d’inertie prend hélas le dessus, sans doute par manque de polarisation des tessitures. Beaucoup de blocs, peu de finesse interne entre les strates. Ce constat se confirme encore davantage dans les partitions du XIXe siècle, assénées pleins phares quand les variations de nuances des chanteurs se perdent dans le magma.

Adèle Charvet et Vannina Santoni n’ayant finalement pas pu participer au concert, ce sont donc respectivement Karine Deshayes (en plus de ses autres airs) et Iryna Kyshliaruk qui reprennent le flambeau. La première s’avère une remplaçante de luxe par ses élans de caractères pluriels, sa musicalité infinie et sa technique insubmersible. « Una voce poco fa » propulse l’auditeur dans une facétieuse boîte à surprises, puis le chant bellinien transfigure l’idée de la conquête corps et âme. La soprano ukrainienne, pour sa part, condense son émission en un chemin cohérent qui tire le fil de la pensée du personnage. La ligne homogène de Chantal Santon-Jeffery réfrène sûrement trop ses ardeurs, si bien qu’elle s’immerge moins volontiers dans l’expressivité de la phrase que dans celle, séparée, des mots. L’orfèvrerie mélodique endurante de Natalie Pérez semble être également un frein à la transmission d’une émotion extra-partition, en dépit d’une superbe voix. Léo Vermot-Desroches fait montre d’une diction directionnelle de premier choix dans « Ah, lève-toi soleil », parfois assombrie par de corrosifs aigus fortissimo. Axelle Fanyo tire son épingle du jeu grâce à son bagout et à un carrousel de créativité rythmique (Così fan tutte). Par une vigueur intense et une présence royale dans Orpheus de Telemann, elle cloue au fauteuil, tout comme l’impressionnante Cyrielle Ndjiki Nya dans un « D’Oreste, d’Aiace » (Idoménée de Mozart) pétri d’un absolu de beauté dramatique. Pour clore la fête, un extrait de l’acte IV des Noces de Figaro rassemble les générations de l’Atelier Lyrique, pour faire perdurer l’histoire de la grande famille Opera Fuoco.

Thibault Vicq
(Paris, 9 avril 2024)

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