Il fallait bien que la reprise arrive ! Alors que la Deutsche Oper de Berlin a choisi de représenter L’Or du Rhin en version raccourcie et toutefois mise en scène sur un parking en plein air (on en rend compte, en allemand), le Grand Théâtre de Genève s’est tourné vers le concert « en conditions réelles ». Avant un récital autour de La Traviata et de Parsifal (deux titres du catalogue 20-21), ainsi qu’une Belle Meunière de Schubert par Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch, c’était Sabine Devieilhe qui ouvrait les festivités de cette rentrée musicale de fin de saison, avec le pianiste Mathieu Pordoy. Nous avons certes suivi la soirée depuis notre écran préféré, mais savoir que la salle accueillait la jauge maximale autorisée de 300 personnes nous a requinqués, à égale puissance avec l’emprise de ce bain de musique étourdissant.
Les pages de Mozart et Strauss mises au programme partagent pour la plupart l’idée de la nuit et des étoiles, que le fleurissement sera là pour contredire dans la dernière partie. La soprano tient cependant à nous relayer un espoir de l’instant. Elle ne noircit pas les traits de l’oscurité, elle dirige son filet à papillons vers les étoiles au firmament. La diction consonante en français et en allemand nous tient par la main et la tessiture abondante produit un feu follet d’énergie. Dans les Brentano Lieder, la retenue de nuances lui permet de mieux affirmer sa liberté et le rayonnement naturel de la voix. Nous sentons Mathieu Pordoy un peu trop technique et mécanique à ce moment-là (bien qu’excellent dans les pirouettes entre les pieds-de-poule straussiens), et les deux interpètes ne parviennent pas complètement à aligner leurs caps expressifs avant les vocalises enjouées d’Amor. L’instrumentiste donne tout le relief et le rubato qu’il faut pour ce on/off de la rêverie passagère, puis effectue un retour à l’ossature bien définie dans Ah vous dirais-je maman. Sa partenaire régule le cheminement de sa pensée avec une pointe safranée qui en sublime la saveur, qui sera nimbée d’un ballet d’ombres resplendissantes sur Abendempfindung. Dans un bois solitaire est une pièce maîtresse supplémentaire, par l’exploration populaire et gambadeuse de la chanteuse et l’exaltation rythmique du pianiste, utilisant la pédale pour mieux accorder les plaisirs. Les compositions de Mozart deviennent d’irrémédiables sables mouvants qui ne sauraient se rattacher seulement à la terre.
La végétation des Mädchenblumen Lieder se pare de fougue bohème, forte de notes étrangères pimpantes et de constructions entortillées. Mathieu Pordoy fait d’Epheu un sommet pianistique à travers sa berceuse qui avance et qui s’arrête, aux côtés du legato de Sabine Devieilhe prolongeant l’infini. Il tinte et valse, elle entame une ascension. Avec une netteté et un éclat saisissants, la soprano nous apparaît en très grande forme. Elle chante la vie dans la simplicité la plus vaste, elle joue le chant sans cesser de partager les vertus du texte. Nous sommes particulièrement sensibles à la méthode : en ne forçant pas les choses, en évitant la pantomime excessive, elle privilégie la transmission à la représentation. La pièce finale (Nehmt meinen Dank de Mozart) est introduite par les remerciements du duo envers le public venu place de Neuve. Le bourgeonnement coloré qui s’est opéré en extérieur pendant le confinement a aussi sa place en intérieur, et la relève de l’inactivité opératique ne pouvait espérer mieux que ce premier passage de Sabine Devieilhe à Genève (précédant un récital avec Alexandre Tharaud au Victoria Hall en septembre prochain) !
Thibault Vicq
(gtg.ch, 13 juin 2020)
Récital encore disponible quelques heures en replay sur le site du Grand Théâtre de Genève
Ce récital sera donné à nouveau le mardi 14 juillet à 19h sur #LaScèneNumérique du Festival d'Aix
15 juin 2020 | Imprimer
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