Indissociable de la filmographie de Federico Fellini entre 1952 (Le Cheik blanc) et 1978 (Répétition d’orchestre), oscarisé pour sa bande originale du Parrain, 2e partie, Nino Rota montre dès son plus jeune âge une vraie propension à l’art de la composition. Toscanini, qui fréquentait son cercle parental l’enjoint à parfaire son éducation musicale aux États-Unis. Il laisse à la postérité près de 170 musiques de film, un corpus symphonique et 12 opéras. Il élabore avec sa mère Il capello di faglia di Firenze dans les années 40, d’après le vaudeville Un chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche. La partition témoigne d’une connaissance aiguisée de ses figures nationales – l’essence du belcanto de Donizetti dans certains duos d’amour, la longueur expressive de Puccini, les jeux de prosodie de Rossini, voire des bouts d’orchestration évoquant Verdi –, de l’opéra bouffe d’Offenbach dans les structures d’accords, et même de la fermeté de phrasé à la Prokofiev. À force de citations ne se hissant pas à la hauteur de ses modèles – en particulier dans la temporalité croisée de la musique et du récit –, l’œuvre n’acquiert pas complètement une personnalité propre qui ferait regretter de ne pas la représenter plus souvent. En revanche, l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz a concocté une recette imparable, un vrai feu d’artifice, pour en faire un must des fêtes de fin d’année 2021, aussi bien scéniquement que musicalement.
Le Chapeau de paille d'Italie - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz
Le Chapeau de paille d'Italie - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz
Avant toute chose, on s’incline devant l’élan de Patrick Kabongo, dans le rôle principal de Fadinard. Car il faut une sacrée énergie et une rigueur vocale bien accrochée pour faire croire tout du long à cette course au chapeau florentin dans tout Paris, le jour de son mariage avec Hélène. Le fameux couvre-chef a été dévoré par un âne, et sa propriétaire contraint Fadinard à lui en trouver un identique, car elle ne peut rentrer chez elle sans l’accessoire, au risque de subir les foudres de son mari jaloux – soit dit en passant, le principe de l’époux qui veut assassiner sa femme adultère comme élément de base de la dramaturgie est tout de même carrément inacceptable aujourd’hui, mais reste fidèle à la pièce originelle. Le ténor projette sans mal des phrases onctueuses de jeune premier et n’est jamais pris de court par la rapidité de l’action. La diction française (dans la traduction d’Henri Murgue) est de surcroît servie comme un mets raffiné, riche en sens, à corps perdu dans la musique. L’Hélène de Jennifer Michel possède une grande assise et brode avec ténacité à partir d’une émission déconcertante de fluidité. Mariée presque « maudite », elle exalte les rayons d’un amour inconditionnel. Nonancourt trouve la truculence requise en Pierre-Yves Pruvot, bien attaqué et à la forte présence scénique. Ces deux personnages lancent le convoi déchaîné drolatique de la noce dans toutes les péripéties. Cette « chenille » humaine les mènera chez l’imposante et empathique Baronne d’Irina Stopina, se nourrissant savoureusement de la vitalité générale, ainsi que chez le Beaupertuis en clair-obscur de Bertrand Duby, toujours à même de rendre insondables ses tourments par des lignes nobles. Si Benjamin Mayenobe s’avère un peu crispé dans son vibrato, Charlotte Dellion fait fleurir son chant de nombreuses pousses attractives. Vincent Ordonneau et Antoine Normand ont le comique dans la peau, et savent le mettre en valeur vocalement.
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Anthony Magnier, venant du théâtre, a trouvé chaussure à son pied pour sa première mise en scène lyrique. Les portes claquent, la tendresse gronde, les situations s’enchaînent sans temps mort, les personnages sont caractérisés non uniquement par leur fonction. On se délecte de cet univers dont il instaure la proximité avec la poétique circassienne de chez Fellini. Entre chaque acte, un clown et une mime, sosies de Zampano et Gelsomina dans La strada, offrent des numéros touchants en avant-scène sur des interludes à l’accordéon par Stéphane Escom, pendant les changements de décors (impressionnant travail d’Emmanuelle Favre, même si on aurait aimé profiter un peu plus de la belle structure de l’acte IV). Les chorégraphies de Graham Erhardt-Kotowich et les lumières de Charly Hové participent à ce plaisir ininterrompu.
Cerise sur le gâteau, Jacques Mercier dirige un franc Orchestre national de Metz dans les ruptures de la musique, la sécheresse des attaques et le moelleux des textures. Il célèbre le melting pot d’inspirations dans un tissu instrumental net et bourgeonnant, qui fait alterner avec un naturel désarmant la profondeur d’accords wagnériens à la précision rythmique de bouffe. Il se fraye un chemin cohérent et climatique, que suivent les rigoureux Chœurs de la maison. Avec un tel spectacle, 2022 ne peut que commencer sur des bonnes bases !
Thibault Vicq
(Metz, 21 décembre 2021)
Crédit photo © Luc Bertau - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz
23 décembre 2021 | Imprimer
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