Une Cenerentola resplendissante au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_20231008-51vp © Vincent Pontet

Avec La Cenerentola, sa première proposition lyrique scénique de la saison (coproduite avec la Semperoper Dresden), le Théâtre des Champs-Élysées nous convie à un savoureux sprint comique, aux frénétiques accélérations, à travers une intelligence de mise en scène et une exécution irradiante, dans lesquelles triomphent Marina Viotti et Levy Sekgapane.

Sous le regard facétieux de Damiano Michieletto, Angelina est une Cendrillon d’aujourd’hui, travaillant dans la caffetteria de son père Don Magnifico, qui la bat et la malmène comme ses deux odieuses sœurs Clorinda et Tisbe. Alidoro se présente en Mary Poppins au masculin, surgissant des nuages et utilisant ses pouvoirs pour faire le « bien » dans des moments de poésie suspendue. Le dispositif scénographique de Paolo Fantin assure le show, par son imposante superposition de décors, et les lumières (Alessandro Carletti) arrivent toujours à point nommé sans paraphraser le propos du metteur en scène. Car ce dernier (ici relayé par Elisabetta Acella pour cette reprise de 2021) voit bien au-delà de la comédie. Plus qu’au rythme, il accorde aux interactions de personnages une noblesse de traitement, un jeu sur les mimiques, un enthousiasmant déferlement d’idées – petites sur le papier, mais grandes pour l’expérience de spectateur – qui ne laissent aucun instant orphelin de stimulation instantanée ou de continuité dramaturgique. Jamais de surenchère, et pourtant une précision qui s’avère évidence : pour son dixième Rossini, Damiano Michieletto sait décidément (très bien) y faire.


Le Cenerentola, Théâtre des Champs-Elysées 2023 (c) Vincent Pontet

Acteurs ou chanteurs ? Les deux mon capitaine ! Marina Viotti nous confiait en 2020 ses désirs de Cenerentola. Si la première fois n’est plus le sujet de ce mois d’octobre 2023, la mezzo s’élance en nuances de pensée active, gorgées d’assurance à travers le monde du rêve. Elle octroie une exceptionnelle leçon de rythme et de mélodie, mettant l’étendue harmonique à ses pieds. Sans séparer les éléments distincts de vocalises, de récitatifs et d’alliages chantés, elle érige chaque phrase en bloc riche de couleurs et de sensations, tel un grand voyage vécu de l’intérieur. Légèreté du trait et force du sens, que demander de plus ? Levy Sekgapane, que nous avions déjà pu entendre en Don Ramiro à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège fin 2019, garde tout du prince charmant rossinien, en superposant langueur et frénésie dans la même phrase, avec un timbre d’une élasticité exceptionnelle, en directe continuité avec celui de la mezzo-soprano. Les contre-ut de diamant, la projection en flashs localisés et la pâte vocale de première fraîcheur contribuent à une grande prestation. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’alchimie spontanée entre les deux interprètes, laissée intacte en portée de feu pendant l’intégralité de la représentation.

En Dandini, Edward Nelson dresse une ligne galvanisante au pinceau fin, à la fois distanciée et d’un lyrisme impérieux. Ce sérieux mâtiné de cavalerie rend d’autant plus plausible son déguisement d’héritier royal à la place de Ramiro. Le truculent Peter Kálmán a la puissance de voix proportionnelle à son impact comique. Il édifie le bouffe dans toute sa splendeur, déterminée par un soutien des plus absolus et le lien thématique qu’il esquisse entre chacune de ses notes. Quand il évoque un rêve, le chant reste imprégné des fantaisies hoquetantes du songe ; quand il se montre agressif avec Angelina, la bête intérieure se réveille. Justyna Ołów et Alice Rossi disposent de remarquables qualités individuelles, et c’est pourtant lorsqu’elles prennent la parole à deux qu’elles font preuve d’une musicalité absolue, se reposant l’une sur l’autre, assorties à la perfection. Nous saluerons davantage les talents d’acteur d’Alexandros Stavrakakis que ses interventions vocales, qui, malgré la rondeur, exacerbent le volume plutôt que la beauté du son.

L’Orchestre Balthasar Neumann et son chef Thomas Hengelbrock cherchent à suivre minutieusement l’action par le son plutôt qu’à s’épancher en pré-romantisme expressif. La baguette s’appuie sur une structure de fer pour déployer les riffs de Rossini, avec une conscience du poids musical par les archets. Elle donne une aura à la lenteur, apporte le panache à la vitesse, lâche les chiens comme dans les partitions agitées de Gluck, éponge dans la largesse les attaques en onomatopées des solistes. Le Chœur Balthasar Neumann témoigne de la même densité impressionnante, associé à une vigueur bondissante.

Encore une soirée où Rossini aura eu sur nous un effet euphorisant comme l’herbe à chats sur nos amis les félins !

Thibault Vicq
(Paris, 9 octobre 2023)

La Cenerentola, de Gioachino Rossini, au Théâtre des Champs-Élysées (Paris 8e) jusqu’au 19 octobre 2023

 

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading