Une Olimpiade de champions au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_olimpiade-vivaldi-theatre-des-chams-elysees-2022 © Thibault Vicq

En 1734, Vivaldi est le deuxième compositeur (avant une longue liste, jusqu’en 1817) à élaborer un opéra sur le livret de L’Olimpiade, lui-même né de la plume de Métastase. À Venise, le Prêtre roux avait le carnet d’adresses et le succès public, mais plus forcément la cote face à la concurrence napolitaine, qui inondait avec beaucoup de talent les scènes de la Sérénissime avec des œuvres à hauteur d’Homme, voire « débaroquées » dans leur contenu textuel. Le théâtre San Giovanni Grisostomo – le plus grand de la ville – étant « fâché » avec Vivaldi, ce dernier a créé L’Olimpiade dans son théâtre Sant’Angelo, dont la machinerie avancée avait fait ses preuves. Le succès a été tel que les propriétaires du San Giovanni Grisostomo ont retourné leur veste et commandé Griselda à Vivaldi (pour leur autre salle moins courue, cependant)... Le Théâtre des Champs-Élysées profite des JO d’hiver de Pékin pour reprogrammer la version de concert qu’il avait été contraint d’annuler à cause de la pandémie en décembre 2020.

Licida fait participer sous son identité son ami athlète Megacle aux Jeux olympiques afin d’obtenir la main d’Aristea, fille du roi Clistene. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que Megacle et Aristea s’aiment déjà. Argene, l’ancienne fiancée de Licida, dont elle a dû être séparée par des décisions paternelles, entre en piste ; la perspective de voir son ancien amant avec une autre ne lui plaît guère… Une fausse mort et une condamnation (infructueuse) plus tard, les personnages découvrent avec stupeur que Licida et Aristea sont jumeaux. Licida-Argene et Megacle-Aristea peuvent alors vivre leur vie de couple sans préavis.

Si la soirée est un enchantement, c’est déjà par sa distribution stratosphérique. Le contre-ténor Carlo Vistoli confirme qu’il est un grand artiste. Son Licida cheveux au vent, tour à tour volcan en éruption et au repos, dispose d’une réserve de souffle phénoménale. Le timbre demeure suave et clair en toutes circonstances, la projection ne connaît aucun temps mort, et la virtuosité virevoltante n’exclut pas une expression poignante et simultanée du doute et du désir. Chiara Skerath n’a nul besoin de sortir les gros bras pour incarner Megacle. Elle prend plutôt le versant de la bravoure terre-à-terre mâtinée de sensualité. Elle fait naître une végétation luxuriante de musique en se mesurant à ses modulations avec soin et gourmandise. Drapé enflammé et dentelle constructive sont au cœur d’une démarche dans laquelle les étapes brillent de cohérence et de douceur. La tragédie est une seconde nature pour Margherita Maria Sala, Aristea superlative et tourbillonnante. Les phrases engendrées ont ce mélange d’assurance et de protection contre les jugements du monde, et éclairent un chemin parsemé d’embûches affrontées haut la main. L’Argene de Benedetta Mazzucato fait appel aux souvenirs de son bien-aimé. En découle un chant mû par l’énergie d’une affection encore vivace et l’intelligence d’une émission qui s’agence à la perfection avec le théorbe et le clavecin. La bouleversante mezza voce n’est qu’un des multiples atouts de Marlène Assayag, qui fait prendre place à un manège enivrant et donne les clés de l’universalité par la clémence. Riccardo Novaro prête sa voix bâtisseuse à un patriarche Clistene qui arrive à mettre élégamment des mots sur les affres du Destin, malgré quelques petites incartades rythmiques. La basse Luigi De Donato donne du poids à chaque note, balaye tous les recoins de la mélodie, lové dans un terreau fertile et expressif. Le Chœur de chambre Mélisme(s) livre pour sa part une prestation sans anicroche, bien en place.

La qualité majeure de l’Ensemble Matheus est sa capacité à créer des piano éthérés, adaptés à toutes les tessitures vocales, à laisser du terrain au chant, en somme. Jean-Christophe Spinosi dirige ses instrumentistes sans pousser à la consommation de grandiloquence, mais en suggérant la montée de la pression sonore au sein de l’ensemble. L’orchestre devient une fascinante cocotte-minute qui bouillonne sans s’épancher, une source d’électricité statique où la timidité et l’intrépidité sont tout autant valorisés. Tous sont venus pour participer et non pour gagner à tout prix l'ovation (qu'ils ont de toute façon obtenue)… De vrais champions à l’esprit sain !

Thibault Vicq
(Paris, 16 février 2022)

L'Olimpiade (Vivaldi) au Théâtre des Champs-Élysées en version de concert, le 16 février 2022

Crédit photo (c) Thibault Vicq

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