© Paco Amate
L'Incoronazione di Poppea, créée à Venise en 1642, est unique dans l'histoire de l'opéra – non pas en raison de son âge remarquable ou de la grande qualité de sa musique dans la mesure où il existe d'autres opéras des mêmes années, et Monteverdi, le compositeur de l’ouvrage, a égalé et peut-être même dépassé le niveau de virtuosité de l’œuvre dans d'autres de ses titres immortels comme l'Orfeo ou Le Retour d'Ulysse dans sa patrie.
Si Le Couronnement de Poppée est une œuvre unique, c'est en raison de son livret étonnant signé par Gian Francesco Busenello, membre actif de l'Accademia degli Incogniti – une institution érudite et mystérieuse, mais aussi selon l'Église, libertine et libre-penseuse.
L'Incoronazione di Poppea est le premier grand opéra qui ait survécu et dont les protagonistes sont de simples mortels et non des dieux ou des héros mythiques, et retrace la répudiation par l'empereur Néron de l'impératrice Octavie pour épouser sa maîtresse Poppée. L’ouvrage s’impose comme une orgie délirante d'amoralité et de cynisme, de sang, de sexe et de cruauté où triomphent le mal et le pouvoir totalitaire, abusif et arbitraire, et dans lequel le seul personnage droit, prudent et sensé, le philosophe Sénèque, est contraint de se suicider.
Le texte de Busenello, qui tentait de confronter les Vénitiens de l'époque au miroir de leur propre déchéance morale, est d'une modernité confondante. On y trouve par exemple des propos tels que « O delle donne miserabil sesso : se la natura e 'l cielo libere ci produce, il matrimonio c'incatena serve » (Ô misérable sexe des femmes ! Si le ciel et la Nature nous font naître libres, le mariage fait de nous des esclaves) dans la bouche d'Ottavia ou « La legge è per chi serve, e se vogl'io, posso abolir l'antica e indur le nove » (La loi est pour les serviteurs, si je veux je peux abolir l'ancienne et en faire une nouvelle), un propos très actuel prononcé par Nerone et auquel nombre de nos dirigeants actuels pourraient sans doute souscrire, en privé.
L'Incoronazione di Poppea Gran Teatre del Liceu (2023) (c) Paco Amate
L'Incoronazione di Poppea est donnée au Gran Teatre del Liceu dans une spectaculaire production de 2018 de l'Opéra de Zurich, dans une mise en scène de Calixto Bieito.
À l'exception d'une fellation, de quelques coïts et d'un meurtre entièrement inventés par Calixto Bieito, et de l'absurdité de la déesse Fortuna jetant sa culotte dans le public, l’ensemble du travail du metteur en scène est – à quelques exagérations près – une adaptation scrupuleuse de la littéralité brutale du terrible texte de Busenello. Calixto Bieito saisit parfaitement les situations, les présente avec énergie, définit et déplace ses personnages pour construire un récit fluide et intense. La scénographie déborde la scène et place l'orchestre au centre d'une couronne circulaire sur laquelle évoluent les personnages. Sur la scène, partiellement occupée par le public, et sur les murs du proscenium, de grands écrans nous montrent les personnages en train d'agir en direct, mais aussi dans d'autres situations, de sorte qu’une narration parallèle se construit à travers la vidéo pour nourrir l'action principale qui se déroule sur scène. Le dispositif scénique est spectaculaire et saisissant, mais il s'inscrit aussi dans cette pratique moderne et plutôt ennuyeuse de la scène unique sans changements de décor, de sorte qu'au bout de dix minutes, on a vu tout ce qu'il y avait à voir et l'on est dès lors certain qu'au cours des trois heures suivantes, il n'y aura rien de nouveau sur le plan scénique.
Le grand succès de L'Incoronazione di Poppea au Liceu est le résultat d'un travail d'équipe remarquable. Julie Fuchs et David Hansen, qui avaient déjà participé à cette production, sont des Poppée et Nérone extraordinaires, tant sur le plan vocal que scénique, totalement engagés dans une mise en scène qui leur demande énormément. Magdalena Kožená dans le rôle d'Ottavia et le contre-ténor Xavier Sabata dans celui d'Ottone sont également impressionnants à tous égards. La soprano Deanna Breiwick et la basse Nahuel Di Pierro sont à l’avenant d’une distribution principale de haut niveau dans les rôles de Drusilla et Seneca. Même satisfecit en termes de performances pour les rôles secondaires, tous remarquables.
La préparation musicale des représentations était confiée à Jordi Savall, qui a également dirigé les trois premières soirées ; à partir de la quatrième, l'ensemble Le Concert des Nations est excellemment dirigé par Luca Guglielmi, en charge du clavecin lors des représentations précédentes. Quel contraste entre la délicatesse de ce que nous avons entendu et la brutalité de ce que nous avons vu !
traduction libre de la chronique en anglais de Xavier Pujol
17 juillet 2023, Barcelone
L'Incoronazione di Poppea au Gran Teatre del Liceu du 10 au 21 juillet 2023
L’incoronazione di Poppea by Claudio Monteverdi. David Hansen, countertenor. Julie Fuchs, soprano. Magdalena Kožená, mezzosoprano. Xavier Sabata, countertenor. Deanna Breiwick, soprano. Nahuel Di Pierro, bass. Thobela Ntshanyana, tenor. Marcel Beekman, tenor. Mark Milhofer, tenor. Irene Mas, soprano. Jake Arditti, countertenor. Rita Morais, soprano. Natalia Labourdette, soprano. Guillem Batllori, baritone. Milan Perišić, baritone. Le concert des Nations. Luca Guglielmi, conductor. Calixto Bieito, metteur en scène. Marcos Darbyshire, restaging. Rebecca Ringst, scénographie. Ingo Krügler, costumes. Franck Evin, lumières. Sarah Derendinger, vidéo. Production de l'Opernhaus Zürich. Gran Teatre del Liceu.
20 juillet 2023 | Imprimer
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