Peut-être un peu moins connus que certains autres opéras plus régulièrement donnés, Cavalleria Rusticana et Pagliacci (respectivement signés Mascagni et Leoncavallo) n’en sont pas moins des opéras majeurs dans l’histoire du genre (posant les bases du vérisme), comptant quelques-uns des airs les plus célèbres de l’art lyrique et ayant surtout été interprétés par les plus grands chanteurs (Caruso en tête). Et un de plus prochainement en la personne de Jonas Kaufmann qui reprend le rôle de Turiddu au Festival de Pâques de Salzbourg ce 28 mars prochain. On ne pouvait rater l’occasion d’examiner plus en détails l’histoire des deux ouvrages jumeaux emblématiques de l’art lyrique.
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« Cav and Pag » c’est ainsi que les amateurs d’opéra ont pris l’habitude de désigner les deux ouvrages jumeaux emblématiques du vérisme, Cavalleria rusticana et Pagliacci, depuis que le Metropolitan Opera de New-York a pris l’initiative de les faire représenter ensemble un soir de 1895 parce que chacun d’eux était trop court pour remplir à lui seul une soirée. Ce rapprochement dont il n’y a pas d’autre exemple est devenu presque systématique bien qu’il ne résulte d’aucune stratégie concertée de la part des deux compositeurs, Mascagni et Leoncavallo. Pourtant, au-delà des contingences liées à une représentation, presque tout semblait destiner « Cav and Pag »à devenir les deux frères inséparables du répertoire lyrique. Composés à deux ans d’intervalle, ces deux drames de la jalousie présentent d’évidentes similitudes de construction et de style. Ilsont pour cadre le Mezzogiorno, terre de paysans rudes et intransigeants sur l’honneur. Et ils sont surtout le fer de lance d’une tentative de renouveau du genre lyrique, le « vérisme musical » qui puise son origine dans la littérature italienne de la fin du XIXème siècle. Avec Cavalleria rusticana et Pagliacci l’opéra se voit assigner une nouvelle dimension dramatique : il sera désormais l’expression « d’une tranche de vie » loin des sujets nobles fournis par l’histoire, la mythologie ou la tragédie. Le chant devra restituer les déchirements de la passion dans une sorte d’emportement lyrique « naturel » dont les éclats auront la force du sentiment « vécu ». En investissant le domaine du « réalisme », l’opéra vériste ouvre la boîte de Pandore de la notion de vraisemblance et se heurte à la difficile tentative de concilier naturel et vérité dans une œuvre d’art. Le vérisme est d’emblée dans l’ambiguïté. Peut-il exister dans l’univers de convention qu’est par excellence l’opéra ? La fidélité exacte à la réalité ne devrait-elle pas commencer par l’élimination pure et simple du chant, moyen d’expression qui va à l’encontre du vraisemblable dans un monde rural soumis aux passions et aux violences d’un implacable code de l’honneur ?
Un heureux concours de circonstances
« Mascagni fit ses débuts en tant que vériste plus par hasard que par conviction éthique »nous rappelle fort justement le musicologue écossais David Kimbell dans son ouvrage consacré à l’opéra italien. C’est sur les conseils de Giacomo Puccini, son ami et ancien condisciple au prestigieux Conservatoire de Milan, que Pietro Mascagni (1863-1945) décide de participer au concours organisé en 1888 par l’éditeur milanais Edoardo Sonzogno grand rival de la fameuse maison d’édition Ricordi et propriétaire du Teatro Lirico. C’est la deuxième édition de cette initiative destinée à favoriser l’éclosion de nouveaux talents parmi les jeunes compositeurs italiens. Mascagni y voit une occasion unique de sortir de l’anonymat auquel le condamne la routine de sa vie de professeur à Cérignola, petite ville des Pouilles qui l’a accueilli après ses débuts comme chef d’orchestre dans une compagnie ambulante spécialisée dans l’opérette. Il s’agit de composer un opéra en un acte respectant le meilleur de la tradition italienne sans toutefois méconnaître les nouvelles perspectives de l’art lyrique…Vaste programme dont Mascagni mesure bien les difficultés, instruit qu’il est par l’échec de son ami Puccini qui avait présenté Le Villi lors de la création du concours en 1883.
Après avoir demandé un livret à son ami le poète Giovanni Targioni-Tozzeti, Mascagni se range à son avis en choisissant de mettre en musique une pièce de Giovanni Verga, Cavalleria rusticana qu’il a déjà vue à Milan en 1884 et dont il avait songé à faire un opéra. Dès qu’il est en possession du livret définitif bâti par Targiono-Tozzeti avec l’aide d’un autre ami poète, Guido Menasci, Mascagni se lance avec la fougue de la jeunesse dans un travail harassant allant jusqu’à composer durant seize ou dix-huit heures par jour ! Deux mois suffisent au compositeur pour achever ce qui sera son unique chef-d’œuvre. Un immense succès devait être la récompense de cette fiévreuse inspiration dont on retrouve l’emportement dans le mouvement de l’ouvrage comme dans l’écriture de la partition qui obtient l’adhésion du jury. C’est une victoire éclatante remportée notamment sur un autre concurrent lui aussi promis à un bel avenir, Umberto Giordano (1867-1948), le futur auteur d’André Chénier (1896). A l’issue de la première représentation le 17 mai 1890, l’heureux compositeur de Cavalleria rusticana est rappelé soixante foissur la scène du Teatro Costanzi de Rome où il reçoit les ovations d’un public littéralement déchaîné comme il le relate dans une lettre à son père : « Je ne suis pas encore remis de mon émotion et de tout ce bouleversement. Jamais je n’aurais pu envisager un tel enthousiasme (…) A l’orchestre chacun était débout, toutes les dames, même la Reine, tapaient des mains (…) J’ai signé un contrat avec Sonzogno qui me rapportera 12 à 15000 lires en deux ans et demi. C’est moi qui ait remporté le premier Prix. Ma situation est complètement transformée. » Très rapidement, Cavalleria rusticana s’impose sur les scènes du monde entier Madrid, Munich, Buenos-Aires, Vienne, Paris, New-York… Sans oublier les nombreuses productions italiennes. Toutes les maisons d’opéra voudront produire Cavalleria rusticana et tous les plus grands noms de la baguette ou du chant chercheront à s’y illustrer : Caruso, Del Monaco, Domingo, Emmy Destin, Rosa Ponselle, Maria Callas ou Grâce Bumbry…Dans les années qui suivirent cette prodigieuse réussite, Mascagni connut d’autres succès d’où se détache l’Amico Fritz (1891) mais le compositeur devait demeurer l’homme d’un seul chef-d’œuvre.
Naissance d’un frère qu’on pourrait croire jumeau
L’histoire aime parfois se répéter mais toujours avec des variantes… Deux ans après la triomphale création de Cavalleria rusticana, le fameux éditeur Sonzogno endosse à nouveau le rôle de la bonne fée qui transforme la carrière d’un jeune compositeur impatient de se faire connaître. Les débuts difficiles et la soudaine notoriété de Ruggero Leoncavallo (1857-1919) rappellent singulièrement le parcours de Pietro Mascagni. Accompagnateur de chanteurs dans les cafés-concerts à Paris, où il se lie d’amitié avec Jules Massenet, puis professeur de chant, Leoncavallo a du mal à vivre de son art. Il voit immédiatement un exemple à suivre dans la réussite de Mascagni : « (…) Après le succès de Cavalleria rusticanade Mascagni je perdis patience et, convaincu que l’éditeur Ricordi ne ferait jamais rien pour moi, je me reclus chez moi, désespéré mais décidé à livrer une dernière bataille, et en cinq mois j’écrivis le livret et la musique de ce Paillasse que l’éditeur Sonzogno m’acheta après la seule lecture du livret ».On peut ajouter qu’avant d’aller trouver Sonzogno, Leoncavallo avait proposé Pagliacci pour la nouvelle édition du concours qui avait permis le triomphe de Mascagni. Malheureusement le règlement imposait de composer un opéra en un seul acte et Pagliacci en comptait deux. Le 21 mai 1892, l’œuvre est créée au Teatro dal Verme à Milan sous la direction d’un jeune chef d’orchestre alors inconnu, Arturo Toscanini. C’est un triomphe. Dès la fin de l’année, c’est Gustav Mahler qui dirige à Budapest ce drame violent dominé par la jalousie. A la suite de Cavalleria rusticana, Pagliacci part à la conquête de toutes les grandes scènes internationales. Tous les plus célèbres chanteurs prêtent leur talent au principal protagoniste, Canio, qui devient le rôle fétiche de Caruso. Le 4 janvier 1895, les deux ouvrages jumeaux se succèdent sur la scène du Metropolitan Opera. C’est l’acte de naissance officiel de « Cav and Pag ».Il y eut bien quelques autres essaisde combinaisons. C’est ainsi que Cavalleria rusticana fut parfois associée à Il Tabarro de Puccini, mais rien ne pouvait plus délier les liens fraternels des deux ouvrages porteurs des nouvelles aspirations de l’art lyrique italien en cette fin du XIXème siècle. Il faut réinventer l’opéra après le règne sans partage de Verdi et l’écrasante présence de Wagner. L’art lyrique abandonne les lieux du pouvoir et le monde symbolique de la mythologie pour suivre les sentiers escarpés de la vie paysanne.
Mettre en musique « une tranche de vie »
Si Cavalleria rusticana apparaît comme le premier opéra vériste ce n’est que deux années plus tard que le véritable manifeste de ce nouveau style se trouve clairement énoncé dans le célèbre Prologue de Pagliacci, ajouté par le compositeur à la demande du grand baryton Victor Maurel (1848-1923), créateur du Iago de l’Otello (1887) de Verdi. Considéré comme le meilleur baryton verdien de son époque, Maurel s’enthousiasme d’emblée à la lecture du nouvel ouvrage de Leoncavallo dont il est devenu l’ami durant le séjour que fit à Paris le musicien italien. Le chanteur propose au compositeur de créer le personnage du clown Tonio en lui suggérant d’étoffer le rôle par une aria supplémentaire. Ce sera le fameux Prologue qui fera de Leoncavallo le chef de file de ce « vérisme » qui s’était imposé avec Cavalleria rusticana. Tonio le clown bossu passe la tête entre les rideaux de scène restés fermés. Il demande au public l’autorisation de parler en ouverture du drame pour en esquisser le déroulement et surtout en révéler toute la portée. Tonio se présente comme une allégorie : « Je suis le Prologue » dit-il. Ce clin d’œil aux procédés de l’opéra du XVIIIème siècle peut surprendre au début d’un ouvrage vériste et montre bien que le compositeur est dans l’impossibilité de faire d’un genre de convention, l’opéra, un fidèle miroir de la réalité, contrairement à ce que nous promet Tonio quand il apostrophe le public : « L’auteur a plutôt cherché à vous peindre une tranche de vie. Il a pour seule maxime que l’artiste est un homme et que c’est pour les hommes qu’il doit écrire. Et s’inspirer de la vérité ». De quoi s’agit-il ? Nous sommes censés assister à une « histoire vraie » dont les protagonistes sont des êtres de chair et de sang. Ainsi le compositeur n’aurait d’autre but que la mise en musique de la réalité de la vie quotidienne des plus humbles suivant la voie ouverte par des romanciers italiens tels Giovanni Verga (1840-1922) ou Luigi Capuana (1839-1915) qui auraient pu résumer les enjeux esthétiques du réalisme comme Emile Zola (1840-1902) : « Il ne s’agit plus d’inventer une histoire compliquée, d’une invraisemblance dramatique qui étonne le lecteur ; il s’agit uniquement d’enregistrer des faits humains (…) Le premier homme qui passe est un héros suffisant, fouillez en lui et vous trouverez certainement un drame simple qui met en jeu tous les rouages des sentiments et des passions ».
De la chevalerie paysanne au rire grimaçant du saltimbanque
Cavalleria et Pagliacci sont deux opéras basés sur des faits divers simples et violents qui ont pour cadre une région âpre dévorée par le soleil, le Mezzogiorno. L’unité de temps, d’action et de lieu est scrupuleusement respectée pour donner le plus de relief possible à la peinture de ces drames qui doivent frapper le public comme un coup de poing en plein cœur. Cavalleria est une adaptation d’un récit de Verga, ami et admirateur de Zola. Ce récit, Cavalleria rusticana, littéralement « chevalerie rustique », est extrait d’un recueil paru en 1880, Vita dei campi. Les codes de cette chevalerie « rustique » sont dictés par le rigoureux sens de l’honneur sicilien. Un acte unique et d’une grande densité dramatique suffit au déroulement d’un règlement de compte brutal et sanglant dans un village de Sicile, le jour de Pâques. Bizet avait déjà ouvert la voie avec Carmen (1875), modèle évident de Mascagni. Avec La Traviata (1853), Verdi avait choisi de relater la déchéance d’une « dévoyée », anti-héroïne dont le destin tragique s’inscrivait dans la réalité de son époque et donc dans celle de l’homme de la rue. Mascagni poursuit donc jusqu’au bout cette recherche de réalisme à laquelle il ajoute une dimension régionaliste. La Sicile et son implacable code de l’honneur font leur entrée dans l’opéra avec cette tragédie paysanne où s’affrontent la passion et le désir d’une vengeance exacerbée par la violence de la jalousie.
Reprenant le même système de construction dramatique très resserrée mais sur deux actes cette fois, Pagliacci exploite aussi un fait divers. Nous quittons les sombres paysans siciliens pour la Calabre et une troupe de comédiens ambulants. Le propre père de Leoncavallo avait été amené à juger en tant que magistrat une affaire de meurtre survenue sur scène durant une représentation à Montalto Uffugo, un village de Calabre. Cependant le livret de Pagliacci ne présente que des points de similitude avec ce fait divers. L’origine principale de l’inspiration de Leoncavallo ne serait-elle pas à chercher tout simplement dans l’univers même de l’opéra où le thème de la jalousie meurtrière est alors très à la mode ? Il est difficile pour un artiste d’affirmer une allégeance totale à la réalité d’ « une tranche de vie ». Leoncavallo ira pourtant jusqu’à révéler, dans Le Figaro du 9 juin 1899, que son héros est encore en vie et qu’après sa sortie de prison il est entré au service d’une baronne calabraise… Il apporte ces précisions pour désamorcer le procès pour plagiat dont le menace l’écrivain Catulle Mendès qui l’accuse d’avoir pillé son récit, La Femme de Tabarin. Quoi qu’il en soit le thème du clown désespéré qui doit faire rire le public alors qu’il souffre cruellement est aussi un thème traditionnel souvent exploité par les auteurs. D’où la question que l’on peut légitimement se poser : le vérisme existe-t-il autrement que comme une revendication ? Faire d’un opéra une fresque populaire est-ce approcher le réel ou bien tout simplement explorer de nouveaux horizons pour renouveler l’art lyrique ? Claude Debussy considérait que Cavalleria n’était pas la vie mais une « fourberie ». Mais comment l’opéra, art de convention par excellence pourrait être la vie au sens strict du terme ? Même si Mascagni prend la peine de parsemer sa partition de danses et de thèmes d’allure populaire, même s’il inclut dans son drame vériste des scènes religieuses à l’atmosphère typiquement sicilienne, nous sommes davantage dans la couleur locale que dans la reconstitution. Dès lors on ne sera guère surpris de la déclaration que fit Mascagni en 1910 : « Le vérisme assassine la musique ; seule la poésie, le romantisme, peuvent donner des ailes à l’inspiration ».
Si on y regarde de plus près, les opéras regroupés sous la commode étiquette du vérisme ne sont pas plus fidèles à la vérité que d’autres ouvrages. On ne trouve aucun but idéologique chez Mascagni. Ses paysans chantent en chœur l’amour et les fleurs et nous sommes très loin de la peinture engagée faite par son modèle Giovanni Verga. Les Siciliens de Cavalleria pourraient se confondre avec les villageois qui peuplent les opéras au XVIIIème siècle comme au début du XIXème. Quant au principal protagoniste, Turridu, il est conforme au modèle du ténor héros, même s’il se voit doter pour accentuer l’effet de réel d’une très belle sicilienne d’entrée composée à partir du thème d’une chanson populaire (« O Lola ch’hai di latti »).
Plus paradoxale encore est la construction dePagliacci qui repose sur le procédé de la mise en abyme,savant jeu de miroir d’une étonnante modernité mais finalement très peu « réaliste ». L’originalité de l’ouvrage réside peut-être avant tout dans cette alliance entre une violence dramatique inédite et la technique souvent utilisée du « théâtre dans le théâtre ». Canio et sa femme Nedda, acteurs ambulants joueront pour le public du petit village de Calabre le drame d’Arlequin et Colombine jusqu’à ce que la réalité face brutalement basculer la représentation dans l’horreur du meurtre. Sous son costume d’Arlequin, Canio, mari trompé fou de jalousie tuera sa femme Nedda jouant Colombine et son amant Silvio qui cherche à la secourir. « La commedia è finita ! » conclue le mari meurtrier en réponse aux hurlements d’horreur des spectateurs qui comprennent subitement que le sang rouge qui coule est bien réel et que les acteurs n’ont pas fait « semblant ».
Musique et vérité
On a souvent considéré le langage musical des véristes comme un lyrisme facile reposant sur des procédés grossiers. Il est vrai que les moments forts destinés à susciter l’émotion du public ne manquent pas dans leurs ouvrages. Ainsi Leoncavallo accorde le plus grand soin à la rédaction du livret de Pagliacci pour faire concorder texte et musique en vue d’obtenir toute la force émotionnelle possible. Le spectateur-auditeur doit être bouleversé par la musique qui suit les évolutions psychologiques des personnages auxquels il lui devient facile de s’identifier. Il doit aussi être transporté dans un univers simple recréé par une écriture orchestrale riche et évocatrice comme celle des « intermezzo » présents dans chacun des deux opéras.
Ce qui fait la force de Cavalleria et Pagliacci, ne serait-ce pas avant tout la capacité de leurs auteurs à créer des rôles forts, scéniquement efficaces qui ont toujours constitué une expérience attirante pour les chanteurs ? L’exaltation de la réalité quotidienne permet aux véristes de proposer des personnages nouveaux qui ne peuvent pas laisser indifférents les chanteurs désireux d’incarner des êtres de chair et de sang en prise directe sur le public. Tous les grands noms de la scène lyrique contribuèrent au formidable succès de Mascagni et Leoncavallo et la disparition progressive du couple « Cav and Pag » tient sans doute à l’absence – qu’on souhaite temporaire – d’interprètes à la mesure des enjeux vocaux que recèle la tension dramatique extrême de ces drames. Pagliacci contient un des airs les plus célèbres de tout l’opéra italien, le fameux « Vesti la giubba » où Canio s’abandonne au désespoir d’avoir à surmonter les affres de la jalousie pour présenter au public un visage hilare et rassurant alors même qu’il sent monter en lui l’envie de tuer. Dans Cavalleria l’écriture vocale est constamment portée par la passion et le mot parlé est utilisé chaque fois qu’il faut traduire la fébrilité et la force irrépressible des sentiments comme dans le cri paroxystique sur lequel se conclut cet opéra miniature : « Hanno ammazzato compare Turridu ! » (« Ils ont tué Turridu ! »).
En avril 1939 une jeune chanteuse interprète son premier rôle complet au Théâtre Olympia d’Athènes. C’est la future Maria Callas qui chante Santuzza. Le directeur musical, George Karakantas raconte : « Elle ne maîtrisait peut-être pas totalement sa voix, mais son interprétation de « Voi lo sapete » et de « l’Hymne de Pâques » avait un tel impact dramatique qu’on en oubliait les imperfections… ». Que Maria Callas, qui a révolutionné l’art du chant et de la scène, ait fait ses premiers pas en incarnant l’impétueuse et passionnée Santuzza semble un signe du destin. Victor Maurel le créateur du Tonio de Pagliacci avait créé Iago et Falstaff. C’était aussi l’un des premiers chanteurs à se préoccuper d’analyser ses personnages pour mieux les incarner par son jeu expressif. Utilisant les caractéristiques de sa voix extraordinaire, Caruso fit de Canio son rôle fétiche en cherchant à atteindre le réalisme dans l’expression théâtrale. Si l’opéra vériste permet d’approcher une vérité c’est avant tout celle de l’artiste qui grâce à son tempérament dramatique et ses capacités vocales peut réaliser toutes les promesses d’une partition marquée par la ferveur et la jeunesse de ses deux auteurs, Mascagni et Leoncavallo.
Catherine Duault
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25 mars 2015 | Imprimer
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