Après sa triomphale Manon à l'Opéra Royal de Wallonie le mois dernier, et avant d'aller l'applaudir dans Guillaume Tell (rôle de Mathilde) à l'Opéra de Monte-Carlo en janvier prochain, c'est à l'Opéra de Marseille que l'on retrouve la grande soprano française Annick Massis. Elle y chante le rôle d'Anaï dans le très rare Moïse et Pharaon de Gioacchino Rossini, ouvrage pour lequel nous avons rédigé une présentation. Nous avons saisi l'opportunité de rencontrer l'une des chanteuses belcantistes les plus accomplies de notre temps.
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Opera-Online : Comment le chant et la musique sont-ils entrés dans votre vie ?
Annick Massis : Par mes parents qui chantaient tous les deux - malgré leur refus de me faire aborder la musique - et par les concertos de piano ou de violon que j’écoutais et qui me fascinaient toute petite, et enfin par les voix qui captivaient mon attention à chaque fois…
Votre carrière est internationale et vous oblige à beaucoup voyager, donc à vous éloigner de votre point d’attache. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre dans cette vie ?
Je ne suis pas sûre d’y être parvenue ! Mais en tous cas en étant bien avec moi même, ce qui est l'essentiel ! Car c’est avant tout un métier de grande solitude : on est souvent absent de chez soi, on construit quelque chose avec des collègues quelque part dans le monde et après quelques semaines, c’est fini, l’équipe éclate et se disperse à nouveau aux quatre coins du monde… On rentre chez soi - ou pas… On retourne vers des proches qui comprennent - ou pas - le côté exclusif de ce métier, et peu de personnes comprennent… C’est très délicat. J’ai fait de mon mieux et je continue à le faire ; je crois qu’il faut de la force pour s’engager sur cette voie et tenter de concilier tous les aspects de cette vie. Il ne suffit pas de chanter mais de gérer aussi tout le reste. Et dans ce sens, c’est capital d’avoir autour de soi des personnes qui vous aident à vous raccrocher à la réalité des rapports humains et vous soutiennent, et peuvent être généreux pour vous, en comprenant qu’on n’est pas des super-women… Ca, on peut le croire pendant quelques années, mais on se rend vite compte que ça ne marche pas, sinon on finit seul. Et même en le comprenant, c’est difficile d’éviter l’isolement. Les personnes qui ont une vie régulière du matin au soir, dans un même endroit toute leur vie ont déjà du mal, alors pensez une seconde à tous ceux qui voyagent tout le temps ! Après, c’est vrai qu’il y a toujours une contre partie à tout...
Bélier Garcia, Boussard, Di Palafrera, Grinda, Marelli, Nordey... Quel type de mise en scène vous correspond généralement le plus ?
Ce sont tous des personnes formidables avec qui j’aime travailler, découvrir, appréhender… Je suis curieuse de tout et des visions de chacun. J’ai aussi particulièrement aimé collaborer avec G. Vick , D. Mc Vicar, L. Ronconi, F. Zeffirelli, J. M. Villégier, M. Martone, P. Audi, J. Cox , R. Fortune, C. Roubaud, L. Pelly etc. J’aime me glisser dans les différentes conceptions et je suis carrément à l’aise lorsque je sens que la mise en scène met en valeur la musique, et concilie théâtre et exigences vocales. J’aime particulièrement les metteurs en scène qui proposent de vraies directions d’acteur, qui offrent de vraies motivations théâtrales et dramaturgiques, même s’ils font une relecture qui peut parfois paraître surprenante.
Est-il facile de faire cohabiter vos propres idées ou convictions - et de défendre une interprétation - tout en suivant les directives de metteurs en scène différents ?
En général, on peut dialoguer avec eux, le contraire m’est rarement arrivé. Avec Zeffirelli, par exemple, je n’en n’ai pas eu besoin, tout était comme une évidence : son oeil avait déjà tout perçu - l’oeil du cinéaste -, et il y avait cette sorte d’adéquation entre la musique et le « geste ». Ca a été un moment exceptionnel d’échanger avec lui, d’autant qu’il s’agissait de Traviata en Italie. Et toujours avec beaucoup d’humour !
C'est la même chose avec Ronconi… On travaille beaucoup dans le ressenti, en réveillant sans arrêt la créativité. D’autres se présentent comme plus intellectuels, ou introvertis, c’est alors à nous de traduire, ou sinon les questions s’enchaînent et on cherche ensemble ; c’est pourquoi les répétitions sont si importantes pour rendre vivante la direction d’acteur du metteur en scène qui a une vue globale pour faire vivre sa vision. D’autres encore sont apparemment plus minimalistes, comme avec Nordey : c’était passionnant et le rendu était d’une grande intensité… Chacun d’entre eux vous rapproche de vous-même, et donc de l’œuvre, et donc de l’être humain, de la nature humaine... C’est impressionnant de voir parfois comment certains metteurs en scène tirent de vous des choses que vous ignoriez de vous-même, qui ne faisaient pas partie a priori de votre personnalité. C’est une façon d’aller vers l’inconnu en quelque sorte... Si les indications sont trop divergentes de ce que je pense, alors je reste fidèle à la musique et à l’émotion que je sens devoir en donner. Dans tous les cas, cela permet de plonger dans des univers vers lesquels on ne serait pas forcément allés de prime abord.
Vous avez la réputation d’être perfectionniste. Est-ce par respect vis-à-vis du public ?
Perfectionniste oui, par respect des œuvres d’abord, mais du public aussi il est vrai. C’est le moyen pour moi de découvrir l’œuvre aussi, tout simplement, au plus près... Certains compositeurs laissent une part de liberté, d’autres très peu. J’aime travailler sur les styles différents aussi, parce que tous les compositeurs ne se chantent pas de la même manière.
Après Manon à Rome en 2010 - rôle que vous venez de reprendre le mois dernier à Liège -, envisagez-vous de chanter Thaïs du même Massenet ?
Oui, j’envisage Thaïs, vocalement d'abord, mais je suis également très attirée par le parcours de Thaïs comme personnage. Mais on ne me l’a pas encore proposé… J’ai interprété la saison dernière La Fée dans Cendrillon de Massenet (Ndlr : au Liceu de Barcelone) et j’aborderai l’Infante du Cid du même Massenet au printemps prochain à l'Opéra de Paris. C’est une musique captivante... Massenet avait tout écrit dans ses partitions et exige un travail de grande précision. J’aime tellement cette musique : lyrique, à fleur de peau et tellement française... De plus, Massenet offre aux chanteurs un véhicule vocal exceptionnel, mais aussi des personnages lumineux et partculièrement marquants.
Pensez-vous que vos moyens se développeront encore et si oui vers quel type de rôles ?
Je pense que oui. Ma voix évolue vers les reines donizettienne : Maria Stuarda, Anna Bolena, Lucrezia Borgia etc. Mathilde de Guillaume Tell aussi… J’aimerai aller jusqu’à Norma, et certains titres de Verdi, autres que Traviata et Rigoletto, que j’ai déjà beaucoup interprétés...
Le récital semble une respiration nécessaire pour vous. Le récital exige-t-il une discipline vocale différente de l’opéra ?
C’est très différent. Dans un récital, on ne sculpte pas la musique à partir d'une mise en scène, donc pour moi c’est plus compliqué ; il me faut plus de temps pour en capter les différentes facettes. C’est plus long, en fait, chaque mélodie, chaque pièce est comme une peinture, et il faut faire entrer le public dedans très vite car les morceaux sont généralement courts, et on doit donc rapidement rentrer dans l’esprit de chaque pièce, en sachant se glisser dans le caractère de chacune d'entre elles. Et puis on chante « non stop », on ne gère donc pas les choses de la même manière sur la longueur... Le rapport au public aussi est différent. Le récital, c’est la musique pour la musique : l’adéquation texte/musique prend plus son sens encore sans l’expression physique.
Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir dans la profession de chanteuse ?
Chanter en étant bien physiquement est la chose primordiale, puis parvenir à m’oublier et être dans un état qui me permet de donner plus que je ne suis, plus que je ne peux en temps normal... C’est une chose un peu étrange et inexplicable, comme une ouverture émotionnelle quasi complète et une grande présence à ce que l’on fait. Je crois que c’est ainsi qu’on arrive à faire rire où pleurer. C’est le rôle d’un artiste, non ?...
Propos recueillis par Emmanuel Andrieu
Annick Massis dans le rôle d'Anaï dans Moïse et Pharaon de Gioacchino Rossini – A l'affiche de l'Opéra de Marseille du 8 au 16 novembre 2014
09 novembre 2014 | Imprimer
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