Juste avant une représentation de Lakmé à l'Opéra de Toulon, où il chante le rôle de Gérald aux côtés de Sabine Devieilhe, le ténor français Jean-François Borras nous a accordé un peu de son temps pour répondre à quelques questions. Rencontre avec un chanteur aussi sympathique que talentueux, qui chantera bientôt dans La Bohème de Puccini au Metropolitan Opera de New-York...
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Opera-Online : Vous avez fait partie dans votre jeunesse des Petits Chanteurs de Monaco, sous la direction de Philippe Debat. Quel souvenirs en gardez-vous ?
Jean-François Borras : Plus que des souvenirs, une découverte du répertoire et surtout une éthique de vie qui m'a permis de donner un sens à mes projets, de me construire une vie musicale propre, de rester éveillé en permanence, d'être ouvert aux répertoires les plus différents, et enfin d'accepter l'imaginaire des directions et des mises en scène les plus variées.
En fonction de votre expérience ou de celle de vos collègues, pensez vous que les jeunes chanteurs ont en France le soutien nécessaire des institutions pour les aider à se développer ?
Le développement musical ne devrait pas relever de l'aide mais de l'éducation, et ce dans tous les pays. J'ai bénéficié de l'enseignement de l'Académie de Monaco qui ne fonctionne pas sur les mêmes principes que l'enseignement français : la diversité du répertoire et des professeurs forme les élèves à une plus grande ouverture tout en garantissant un niveau international ; toutefois, à Monaco, on peut regretter le trop petit nombre d'élèves et cela nuit à la compétition. Bien heureusement j'étais inscrit aux masters-classes dirigées par Gabriel Bacquier, et durant toutes mes études, j'ai reçu l'enseignement et ai été préparé au métier par Marie-Anne Losco, dont la bienveillance a été sans limites. Grâce à cette formation j'ai eu une carrière internationale qui m'a amené à chanter les premiers rôles à l'Opéra de Paris, à la Staatsoper de Vienne, à Covent Garden ou au Metropolitan Opera de New-York.
Écoutez-vous des enregistrements soit pour vous aider à apprendre un rôle ou pour étudier comment d’autres l’abordent ?
Nous vivons hélas dans le monde du copier-coller dans tous les domaines. Je m'efforce par commencer l'étude d'une œuvre avec la partition et un piano afin de pénétrer le sens dramatique et musical d'un opéra. Je crois que c'est une bonne démarche pour comprendre de manière sensible l'originalité du compositeur. Ensuite, comme tout le monde, je me sers des moyens contemporains en écoutant autant des enregistrements historiques qu'actuels. Les moyens d'un chanteur sont limités par sa sensibilité, qui doit, elle, se plier aux impératifs de la direction musicale et de la mise en scène.
Vous avez déjà certainement reçu des propositions dangereuses actuellement pour votre voix. Est-ce difficile de refuser ?
La vie est rarement faite de choix ; elle est généralement faite de décisions, donc d'acceptations. Les personnes qui me proposaient des rôles ne me convenant pas ne cherchaient pas à me nuire, bien au contraire. J'ai donc décidé de ce qui était possible et de ce qui convenait à ma nature et à ma sensibilité. Par cette démarche je me suis évité d'avoir des regrets et de me fabriquer de mauvais souvenirs.
Vous chantez actuellement le rôle de Gérald dans Lakmé à Toulon. Comment concevez-vous votre personnage ?
Le personnage musical est très différent du personnage dramatique. Le goût orientaliste de l'époque aurait pu être applicable à n'importe quelle épopée coloniale. Gérald aurait pu être italien en Éthiopie ou Français en Algérie, cela n'aurait pas changé grand-chose à l'œuvre. Gérald est donc avant tout un homme qui découvre que l'amour est universel et que l'universalité de l'amour peut être plus forte que le patriotisme. Cette dualité des sentiments a été exacerbée par Léo Delibes en juxtaposant des mélodies modales et des mélodies tonales qui finissent par s'unir grâce à la somptuosité de l'écriture orchestrale. La voix du ténor est une synthèse de l'excellence de l'expression musicale française : tantôt mélodie française, tantôt opéra lyrique. Il faut donc veiller à la souplesse de la ligne et à la justesse pour mettre en évidence l'écriture de ce génie.
Après Macduff dans Macbeth au Théâtre des Champs-Elysées et Riccardo dans Un Ballo in maschera à Metz, cette saison, quels grands rôles voudriez-vous aborder ?
L'essentiel n'est pas le plus mais le différent. Ce n'est parce que l'on peut chanter deux cents rôles que l'on est plus performant : je souhaitais chanter Werther et je l'ai chanté au Met. J'ai encore beaucoup à donner dans les rôles que l'on m'a offerts, et dans ceux que l'on me proposera : il y a une évolution logique dans la distribution des rôles.
Après y avoir remplacé Jonas Kaufmann dans Werther en mars dernier, le MET vous réinvite en janvier pour chanter le rôle de Rodolfo dans La Bohème. Comment le vivez-vous?
Votre question évoque un moment de ma vie qui n'est pas un aboutissement ou une récompense : c'est le fruit d'un parcours dont je n'ai pas été l'unique responsable. C'est donc avec joie que je retournerai au Met afin d'élargir ma voix avec les plus grands ; je crois que c'est la seule voie qui me permette de donner au public ce qu'il attend.
Ai-je oublié de vous poser une question ?
Peut-être depuis quand suis-je passionné par le chant ? Depuis toujours en fait ! Tout petit, ma maman m'asseyait devant le poste de radio qui faisait office de baby-sitter : je ne bougeais pas, et je chantais... J'ai été le plus jeune élève du Chœur des Petits Chanteurs de Monaco, et du plus loin que remonte ma mémoire, je n'ai jamais songé à faire autre chose que ce que je fais !
Propos recueillis à Toulon par Emmanuel Andrieu
Jean-François Borras dans le rôle de Gérald dans Lakmé de Léo Delibes - A l'affiche de l'Opéra de Toulon du 10 au 14 octobre 2014
12 octobre 2014 | Imprimer
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