Dans le cadre du 150e anniversaire de la création de l'ouvrage, c'est à l'Opéra Grand Avignon – autant dire sur ses terres – que Mireille de Charles Gounod vient d'être reprise, pour deux soirées, dans une production imaginée par Robert Fortune pour ce même théâtre, en 1992. Poème-fleuve d'un jeune homme de vingt-et-un ans, Miréio de Fréderic Mistral est adapté par Michel Carré en livret d'opéra, et Mireille est créé au Théâtre lyrique en 1864, sans susciter beaucoup d'enthousiasme tant auprès du public que de la critique. L'œuvre subira de multiples remaniements jusqu'à ce que Reynaldo Hahn n'en restitue, en 1939, la partition originale telle qu'elle nous est proposée aujourd'hui. Osons d'emblée soulever une interrogation : et si c'était Mireille, plus que Faust ou Roméo et Juliette, qui devait être considéré comme le chef-d'œuvre de Gounod ? Si ces amours contrariées entre deux jeunes gens de condition sociale opposée sur fond de mysticisme et de religiosité exacerbée peuvent paraître désuètes, la musique s'avère, quant à elle, remarquable de bout en bout. D'une invention mélodique et d'une finesse incomparable, la partition ensorcelle par sa beauté et captive l'auditeur pendant les cinq actes qu'elle dure.
Et ce n'est visiblement pas un spécialiste de cet ouvrage comme Alain Guingual - placé à la tête d'un Orchestre Régional Avignon-Provence en grande forme - qui nous contredira, à voir l'enthousiasme et l'incroyable énergie avec lesquels il défend cette musique. Le lyrisme, les couleurs et les contrastes en sont merveilleusement rendus dans une entente chef / orchestre qui fait plaisir à voir. En revanche, on regrettera quelques décalages du côté du chœur maison, et certaines défaillances de la part des femmes (le chœur des magnanarelles au tout début), mais tout cela sans grande gravité.
Le plateau vocal, entièrement francophone et particulièrement homogène, est l'autre grande satisfaction de la soirée. Dans l'éprouvant rôle-titre, Nathalie Manfrino – qui nous a enthousiasmé dans celui de Mimi à Bordeaux en octobre - se montre plus que convaincante et s'impose comme l'une des grandes titulaires actuelles. A sa belle présence, elle ajoute une voix possédant la puissance et la projection que requière le rôle, ainsi qu'une solide technique. Si l'artiste paraît plus à l'aise dans la tessiture légère de son premier air « Mon coeur ne peut changer », elle n'en chante pas moins le terrible « Voici la vaste plaine », dit aussi « Air de la crau », avec vaillance et aplomb, nonobstant un aigu final quelque peu induré. Enfin et surtout, elle émeut véritablement au moment d'expirer. De son côté, Florian Laconi - qui, lui, nous avait fait forte impression dans le rôle de Mylio (Le Roi d'Ys) à Marseille en mai dernier - campe un Vincent de haute tenue : beauté du phrasé, diction irréprochable, clarté et puissance des aigus. Son grand air du cinquième acte « Anges du paradis », délivré avec une rare sensibilité, est, à juste titre, plébiscité par le public.
A l'applaudimètre, la Taven de Sylvie Brunet-Grupposo remporte également de nombreux suffrages. Elle offre un portrait haut en couleurs de cette sorcière bienveillante, et fait preuve d'un engagement théâtral saisissant. Ses imprécations au troisième acte, lors de la scène du « Val d'enfer », glacent littéralement les sangs. Le métal de la voix allié à la beauté intrinsèque du timbre impressionne durablement, l'artiste offrant par ailleurs une véritable leçon de chant français. Marc Barrard possède désormais le mordant pour rendre justice au personnage d'Ourrias, et plus encore une ligne de chant qui n'est pas sans évoquer d'illustres devanciers. Dans les rôles des deux pères, les excellents Nicolas Cavallier et Philippe Ermelier sont justement ovationnés. En prime d'être de formidables comédiens - le premier en père autoritaire et paysan parvenu, le second en vannier modeste et plein de dignité -, ils livrent eux aussi une magnifique leçon de chant, avec une façon de ciseler le mot qui perpétue une certaine idée de l'école française. On saluera également la prestation de la délicieuse Aurélie Ligerot qui chante une Chanson d'Andreloun pleine de fraîcheur et de poésie. Enfin, la Vincenette de Ludivine Gombert n'appelle que des éloges, tandis que la sombre voix de Jean-Marie Delpas (Le Passeur) fait forte impression.
La proposition scénique nous laisse plus mitigé, Robert Fortune n'ayant su/pu résister aux pièges de la couleur locale, sinon du folklorisme. Certes il en faut, mais seulement en toile de fond sur laquelle se détache l'intemporalité du drame. Or on ne nous montre ici que les amours déçues entre une jeune et jolie fille riche et un « gentil vannier ». Que devient dès lors la dimension symbolique, spirituelle, évidente chez Mistral et encore sensible dans l'opéra ? D'une certaine façon, Mireille est une sainte, mais pas une sainte nitouche, il y a dans sa nature quelque chose d'ardent, de passionné, de contestataire. Elle est habitée par un feu intérieur qui ne se manifeste pas nécessairement par de violents éclats. Son histoire est un chemin de croix qui mène tout droit au tableau du « Désert de la Crau ». Or, dans cette production, ce tableau – comme celui de « La berge du Rhône », d'ailleurs, qui tourne lui au grand-guignol – n'est pas des plus convaincants, et il faut attendre le tout dernier, « L'église des Saintes-Maries », avec ses deux statues de Saintes richement parées qu'illuminent des dizaines de bougies, pour que l'œil et l'esprit soient enfin satisfaits.
Mireille de Gounod à l'Opéra Grand Avignon, le 2 décembre 2014
Crédit photographique © Cédric Délestrade
03 décembre 2014 | Imprimer
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