On ne découvre pas au printemps 2020 les nouvelles saisons des maisons d’opéra avec autant de joie anticipée que les autres années. Il en va de la saison berlinoise comme des autres : tous les projets annoncés pourront-ils avoir lieu comme prévu ? Il nous faut donc lire les publications des trois opéras berlinois pour ce qu’elles sont : des promesses de papier, que la réalité se chargera sans doute d’amender. Rien de révolutionnaire dans ce que proposent les trois maisons : la Komische Oper est toujours, avant tout, le bastion de Barrie Kosky, intendant-metteur en scène à l’inégalable suractivité. On pourra ainsi voir à Berlin des Boréades déjà présentées à Dijon, puis l’Orphée aux enfers présenté l’été dernier au festival de Salzbourg ; il mettra en scène, en outre, Mahagonny de Kurt Weill (à qui tout un cycle est consacré), sans compter de nombreuses reprises. Les constantes de son mandat restent présentes : l’opérette, originaire de Berlin ou d’ailleurs, y est présente comme nulle part ailleurs, mais aussi le répertoire du XXe siècle, en complément du cycle Weill et d’une version scénique de Pierrot Lunaire de Schoenberg : Œdipe d’Enescu et Katia Kabanova de Janáček bénéficient de nouvelles productions ambitieuses. Ce qui fait la plus-value de cette institution et que la saison sur le papier ne révèle pas, c’est quoi qu’il en soit l’esprit de troupe qui anime la maison et qui donne à beaucoup de ses spectacles une vitalité remarquable.
Comme d’habitude, ce n’est donc pas à la Komische Oper que les amateurs de grand répertoire se précipiteront. L’événement wagnérien de la saison aura lieu à la Staatsoper : à côté des habituelles reprises, une nouvelle production de Lohengrin, confiée à Calixto Bieito et à Matthias Pintscher, affichera des wagnériens confirmés comme René Pape ou Martin Gantner, mais surtout deux nouveaux venus sur la scène wagnérienne, Sonya Yoncheva et Roberto Alagna, 18 mois après avoir renoncé à aborder le rôle titre à Bayreuth. Mais la Staatsoper a aussi sa figure tutélaire : Daniel Barenboim met au cœur du prestigieux festival annuel de sa maison Les Noces de Figaro, avec notamment Elsa Dreisig et Marianne Crebassa, sans oublier Waltraud Meier en Marcellina. L’autre première mozartienne de la saison sera un Mitridate mis en scène par le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi et dirigé par Marc Minkowski – en espérant que ce dernier aura renoncé à « améliorer » la partition par des coupures et inversions massives comme il l’avait fait à Salzbourg il y a une quinzaine d’années. Une nouvelle production de Jenůfa attire aussi l’attention du fait de son chef : même après avoir quitté le Philharmonique, Sir Simon Rattle reste fidèle à Berlin pour une nouvelle production affichant notamment Camilla Nylund et Evelyn Herlitzius. La grande diversité du répertoire affiché, malgré la sagesse de beaucoup des mises en scène créées cette année, s’accompagne de la présence de quelques grands noms même dans les reprises : Matthias Goerne qui chante à la fois Wozzeck et le Hollandais, Waltraud Meier en Herodias (Salome), René Pape ou Michael Volle dans toute une série de rôles, sans oublier une forte présente française avec Elsa Dreisig, Léa Desandre ou Marianne Crebassa…
Pour la Deutsche Oper, l’événement le plus important de la saison est sans doute la construction d’un nouveau Ring venant remplacer l’antique version de Götz Friedrich : la nouvelle équipe est constituée de Stefan Herheim et du directeur musical de la maison Donald Runnicles ; L’Or du Rhin devrait être créé à la fin de la saison en cours, le dernier volet au début de la saison 2021/2022 avant une série de cycles complets ; les deux volets de la prochaine saison affichent entre autres Nina Stemme, Lise Davidsen et John Lundgren. Les grands noms se font rares dans le reste de la saison, même dans les nouvelles productions – ce n’est pas forcément grave pour le public local qui bénéficie d’un large choix d’œuvres et d’interprètes, mais rien ne vient justifier le voyage, d’autant que la maison ne se montre d’une particulière créativité ni dans le choix de son répertoire, ni dans ses ambitions théâtrales. Pas moins de huit Verdi dont un nouveau Simone Boccanegra avec George Petean, six Wagner, cinq Puccini, plus de la moitié des œuvres affichées pour seulement trois compositeurs : est-ce ainsi qu’on favorise la diversité à l’opéra ?
Un élément particulièrement recommandable de la scène opératique berlinoise est pourtant la manière dont elle met en avant le répertoire le plus récent, notre époque n’ayant en matière lyrique pas à rougir par rapport aux quatre cents premières années de l’histoire de l’opéra. Même la Deutsche Oper prend la peine de reprendre L’invisible, du vétéran Aribert Reimann, créé en 2017 avec grand succès. Beaucoup plus à l’est, c’est la Staatsoper qui montre le plus d’ambition en la matière, en faisant entrer le Quartett de Luca Francesconi (créé à la Scala en 2011) à son répertoire sous la direction de Barenboim lui-même et en créant deux opéras de chambre de Simon Steen-Andersen et Georg Friedrich Haas, sans oublier de reprendre Babylon de Jörg Widmann. Bel hommage rendu à la curiosité du public de l’une des villes de culture les plus vivantes du monde.
Dominique Adrian
17 avril 2020 | Imprimer
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