« Comment sauver l’opéra ? », la réponse de Peter Gelb, directeur du Met Opera

Xl_peter-gelb © Peter Gelb

Au cours des dernières décennies, les maisons d’opéra se seraient tantôt couper du public, tantôt auraient manqué d’audace. Dans une tribune, Peter Gelb, le directeur du Metropolitan Opera de New York, enjoint le secteur à prendre des risques et à oser ancrer l’opéra dans son époque. 

En 1910, le Metropolitan Opera de New York accueillait la création de La Fanciulla del West, en présence de Puccini, avec Enrico Caruso et Emmy Destinn dans les rôles principaux. Des stars pour un événement lyrique majeur, et la production rencontrait un succès fulgurant auprès du public. Selon Peter Gelb, l’actuel directeur du Metropolitan, l’opéra était alors au sommet de sa popularité. Qu’en est-il aujourd’hui, un siècle plus tard ? Dans une tribune publiée dans le New York Times, le même Peter Gelb se demande « comment sauver l’opéra aux Etats-Unis » dans un contexte confronté à « un manque cruel d'éducation musicale dans nos écoles et à la concurrence d'un éventail toujours plus large d'options de divertissement en streaming ».

Sa réponse prend notamment la forme d’un plaidoyer en faveur d'un renouveau de l’opéra : en un mot comme en cent, pour toucher le public d’aujourd’hui, il convient d’ancrer l’art lyrique dans son époque. C’est la conviction du directeur du Metropolitan Opera : « la solution pour soutenir l'opéra passe par une réinvention artistique, à la fois avec de nouveaux opéras de compositeurs vivants et des productions ré-imaginées de classiques qui peuvent trouver un écho auprès du public d'aujourd'hui ». Cette évolution est évidemment en cours, mais selon Peter Gelb, les maisons d’opéra ont peut-être fait fausse route pendant quelques décennies – et en paie aujourd’hui le prix.

La nécessité de l’accessibilité

Pour le directeur du Met Opera, l’âge d’or de l’art lyrique s’est peu ou prou arrêté après Puccini, car « à quelques exceptions près, la seconde moitié du XXe siècle a produit peu d'opéras véritablement populaire ». Le monde lyrique se serait alors ankylosé, sous le poids de compositeurs signant « des œuvres expérimentales, parfois atonales qui n’ont pas su toucher le grand public », ou de metteurs en scène proposant des lectures d’œuvres classiques parfois difficiles à appréhender par les spectateurs.

On lui laisse la responsabilité de ses propos, mais le directeur du Met prend aussi sa part de responsabilité : au regard du coût des nouvelles productions et des créations (une nouvelle production au Met représente un budget de 2,5 millions de dollars), l’institution new-yorkaise et « la plupart des grandes maisons d’opéra » sont « restées sur la touche pendant des décennies ». Plutôt que de s’approprier ces nouveaux « opéras inaccessibles », elles se sont « tournées encore davantage vers le passé, notamment vers les compositions légères des compositeurs baroques du XVIIIe siècle » de Heandel, Gluck ou Purcell. Or selon Peter Gelb, « aucune forme d’art ne peut survivre et s’épanouir uniquement grâce aux grandes gloires de son passé ».

Le directeur du Met reconnait un changement de tendance vers la fin du XXe siècle, notamment grâce à des compositeurs comme « Philip Glass ou John Adams, dont les partitions inventives et dynamiques, sur des sujets attractifs comme Gandhi ou Oppenheimer, ont su piquer la curiosité du public » – en référence à Satyagraha de Philip Glass ou Doctor Atomic de John Adams. Et de saluer aussi l’intuition de « David Gockley, l'ancien directeur visionnaire du Houston Grand Opera, puis du San Francisco Opera, qui a commandé 45 nouveaux opéras » dans le cadre de ses mandats, parmi lesquels Nixon in China de John Adams. À sa suite, l'American Modern Opera Company, l'Opera Philadelphia ou encore les Beth Morrison Projects (à qui l’on doit 56 nouvelles œuvres depuis 2006) ont suivi cette même politique et ont su toucher un nouveau public. Et si Peter Gelb estime que les maisons d’opéra européennes se montrent plus timorées en la matière, on rappellera que nombres d’entre elles programment aujourd’hui régulièrement des œuvres contemporaines, voire commandent de nouveaux opéras chaque saison ou presque.

« Le plus grand risque serait de jouer la carte de la sécurité »

Au-delà du constat, quelles conséquences pour le Metropolitan Opera ? Peter Gelb a pris ses fonctions à la tête de l’établissement en 2006 et concède avoir « dû procéder doucement pour ne pas brusquer les abonnés et mécènes » du Met. Suite à la pandémie (et sans doute aussi grâce à l'impulsion de Yannick Nézet-Séguin devenu directeur musical), il revendique néanmoins des changements radicaux.

Et en effet, le Met Opera n’a jamais présenté autant d’œuvres nouvelles et récentes qu’actuellement, tout en privilégiant des « opéras avec des partitions mélodiques très riches et des histoires contemporaines ». On pense par exemple à Grounded de Jeanine Tesori sur les enjeux moraux de la guerre à distance ou Ainadamar d’Osvaldo Golijov sur l’assassinat du poète espagnol Federico García Lorca par les forces franquistes. Fort de ces choix assumés, le directeur se dit « fier que l'âge moyen de(s) acheteurs de billets individuels (du Met), qui était d'environ 60 ans lorsqu(’il a pris s)es fonctions, soit aujourd'hui de 44 ans ».

Il poursuit : « je peux attester que ces opéras trouvent un écho auprès du public, qui réagit avec enthousiasme et émotion ». Peter Gelb dénonce néanmoins l’attitude des critiques d’opéra, « parfois mitigés, négatifs, voire dédaigneux » – et de rappeler que certains grands classiques lyriques aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre ont parfois été accueillis fraichement lors de leur création. L’histoire jugera. Toujours est-il que Peter Gelb entend manifestement inscrire son action dans la durée, en « s’efforçant de créer aujourd’hui les conditions qui permettront à l’opéra de prospérer et de se développer » de façon pérenne pour l'avenir. Et de conclure sa tribune : « quand bien même cela implique de prendre des risques plus importants que jamais en matière de programmation, le plus grand risque serait de jouer la carte de la sécurité ». Et au public aussi d’accepter ce risque en se montrant curieux ? 

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