© OONM
A partir de ce vendredi 5 avril, l’Opéra de Montpellier créera l’événement avec Negar, le nouveau spectacle de Marie-Eve Signeyrole qui sera donné en création française jusqu’au 10 avril.
On sait que l’Opéra de Montpellier a à coeur d’offrir à son public des expériences vers lesquelles il n’irait pas forcément de lui-même, en plus de spectacles plus classiques. Sa mission de transmission d’oeuvres a autant d’importance que celle d’innovation et de création. Il faut conserver les œuvres du passé, mais il faut aussi faire preuve de réflexions sur celles-ci, et continuer à faire vivre l’art lyrique aussi par le biais de créations.
Dans cette logique, la maison a déjà proposé des spectacles atypiques, à cheval entre les genres ou résolument novateurs, comme Soupe Pop en 2016 ou dernièrement Séisme, un opéra immersif d’une forme nouvelle. Il n’est donc pas étonnant de voir à Montpellier non seulement de nouvelles productions, mais aussi des créations. Ce sera à nouveau le cas avec Negar, créé mondialement en octobre 2022 à la Deutsche Oper Berlin (qui est en cocommande), et qui verra donc sa création française à Montpellier dès cette fin de semaine.
Une musique signée par Keyvan Chemirani
Né à Paris en 1968, Keyvan Chemirani grandit dans les collines de Manosque et s'imprègne des musiques orientales et méditerranéennes dès son plus jeune âge. Son père Djamchid Chemirani lui a transmis son savoir traditionnel. Un savoir d'autant plus enrichissant que c'est le maître de Djamchid, Ostad Hossein Tehérani, qui est parvenu à faire passer le zarb du rôle de simple accompagnateur à celui de soliste. Aux côtés de son père et de son frère Bijan, il forme le Trio Chemirani qui joue partout dans le monde et qui a enregistré le disque Dawar chez Harmonia Mundi en 2015. « Tout en puisant dans la poésie persane, les Chemirani composent et développent des formes modernes où l’accent est mis sur les polyrythmies et sur la multiplicité des sons ; le trio dévoile à son auditoire les possibilités infinies des percussions persanes ».
Outre les musiques modales – entre bassin méditerranéen et Inde – Keyvan Chemirani trouve également son influence chez les grands interprètes de jazz, mais part aussi à la rencontre du flamenco, de la musique ottomane, grecque, arabo-andalouse, ou encore carnatique, et travaille à la mise en place de passerelles entre toutes ces influences, ces cultures musicales qu’il aime faire collaborer et s’enrichir. Il n’hésite pas non plus à travailler avec de grands ensembles de musique ancienne, tels que l’Ensemble Gilles Binchois de Dominique Vellard, La Chapelle rhénane dirigée par Benoît Haller ou encore Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón (certains ont pu apprécier son art dans Il diluvio universale).
Dans Negar, Keyvan Chemirani dit mélanger différents styles – rencontre des couleurs et sonorités orientales et occidentales – et genres – du zarb, au baroque ou au classique jusqu’à des sons de guitare électrique : « J'aime la musique traditionnelle persane, c'est la musique de mon père, de ma famille. Mais des influences complètement différentes, de Turquie, d'Inde, d'Europe de l'Est, se retrouvent également dans ma musique. C'est très important pour moi qu'il ne s'agisse pas uniquement de musique iranienne et qu'elle soit perçue comme telle. La musique baroque a toujours eu une grande influence sur ma musique. Les langues musicales traditionnelles arabes et européennes se rapprochent beaucoup. Pour moi, il est très important de faire tomber les murs. Je ne peux pas dire que je suis un musicien « oriental » ou que je ne le suis pas. Ce classement ne m'intéresse pas du tout. L’important est : comment transmettre de l'émotion ? ».
Negar, Deutsche Oper Berlin © Eike Walkenhorst
Les instruments orientaux et occidentaux « se côtoient comme tradition et modernité dont il est question » dans l’oeuvre. Il a travaillé en étroite collaboration avec Marie-Eve Signeyrole « afin que mots et notes se répondent » (les Inrockuptibles). Par ailleurs, « sur scène, il joue avec trois autres remarquables musiciens, rompus comme lui à l’art de l’improvisation – ce qui leur permet d’arriver à toujours se réinventer. Cela participe au fait que le spectacle n’est jamais le même d’un soir à l’autre ». De quoi rendre Negar particulièrement vivant, jusque dans sa musique. Mais le compositeur ne sera pas pour autant à la baguette : c'est à Sonia Ben-Santamaria qu'a été confiée cette tâche.
Un livret et une mise en scène de Marie-Eve Signeyrole
Le projet de Negar est né en 2012, des suites d’un concours de circonstances : d’une part, le film En secret de Maryam Keshavarz (relatant l’histoire d’Atefeh, de son frère Mehran et de sa meilleure amie Shirin, des sentiments d’amour naissant et des relations entre Mehran et Shirin mais aussi Shirin et Atefeh…), et d’autre part, le brouhaha d’une marche anti « mariage pour tous » à la sortie du cinéma.
« J’ai mis en lien cette difficulté d’aimer qui l’on souhaite, ici ou ailleurs, avec la colère et l’incompréhension que cela suscite, dans une culture ou une autre » (les Inrockuptibles). Il a toutefois fallu attendre 2020 pour que l’écriture du livret débute avec Sonia Hossein-Pour. Elles ont mené des recherches journalistiques et interviewé des jeunes de Téhéran, sur place ou en France, afin de connaître leur ressenti sur l’Iran d’aujourd’hui. Un travail de témoignages au cœur de l’œuvre qui est familier des pièces contemporaine de Marie-Eve Signeyrole. Le résultat final est un conte documentaire qu’elle évoquait déjà avec nous en 2021.
Côté mise en scène, la vidéo est particulièrement présente, avec des images filmées en direct du spectacle par « Aziz », un réalisateur de documentaire qui entreprend de filmer Shirin et Negar. Ces images sont pour beaucoup filmées derrière un voile – voile qui symbolise le dit et le non dit, le montré et le caché, et qui devient un élément-clef de la scénographie. S’ajoutent à cela des images filmées à Téhéran il y a deux ans, et d’autres filmées par Jules Gassot au cours des répétitions avec les interprètes.
Que raconte Negar ?
Selon le communiqué, Negar nous plonge à Téhéran en 2013, aux côté de Shirin, Aziz et Negar.
« La vie sociale est toujours marquée par des contradictions. Malgré des interdictions strictes, une vie parallèle, cachée, anime la capitale iranienne. Une jeune génération a réussi à se créer des espaces de liberté alors même que le moindre écart peut conduire à une intervention brutale des autorités. C’est ce monde que retrouve Shirin lorsqu’elle retourne en Iran après des décennies d’exil. Ses retrouvailles avec ses amis d’enfance Negar et Aziz ravivent de vieux souvenirs et les trois protagonistes se retrouvent confrontés à la question de leur propre identité. Lorsqu’une relation amoureuse passionnée se noue finalement entre les trois, leur rencontre devient aussi un acte de résistance et d’affirmation de soi dans un système d’oppression et de surveillance. Negar raconte les désirs et les projections qui surgissent lorsque différents mondes entrent en collision ».
Un spectacle rattrapé par l’actualité
Lors de sa création mondiale en 2022, Negar a été rattrapé par la terrible actualité de l’Iran avec le soulèvement survenu après la mort de Mahsa Amini. Certaines parties du livret ont alors dû être modifiées « pour ne pas donner le sentiment qu’elles avaient été écrites suite aux événements en cours » (les Inrockuptibles), et plusieurs personnes ont fait le choix de se retirer du projet à ce moment-là, lorsque les répétitions étaient en cours.
Par ailleurs, les thématiques abordées ont de quoi interpeler, entre recherche de la liberté ou droit d’aimer qui l’on aime. Dans un contexte comme celui d’aujourd’hui, placer ces questionnements en Iran de manière documentée et « interne » est épineux, mais c’est aussi ce qui rend l’œuvre particulièrement riche : oser montrer ce que l’on cache, oser dévoiler avec honnêteté et au plus proche de l’humain. Un art dans lequel excelle Marie-Eve Signeyrole, ainsi qu’elle l’a déjà montré à plusieurs reprises, notamment au cours de sa collaboration avec l’Opéra de Montpellier avec qui elle entretient une relation fidèle depuis sa résidence dans ses murs.
Negar, à découvrir à l'Opéra de Montpellier du 5 au 10 avril 2024.
02 avril 2024 | Imprimer
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