Saison 2024-2025 de l'Opéra d'Amsterdam : « quel objectif, quel avenir, quelle paix ? »

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« Quels sont nos objectifs, quel avenir souhaitons-nous et de quoi avons-nous besoin pour nous sentir en paix avec nous-mêmes et avec les autres ? » Ce sont les fils rouges tirés par Sophie de Lint dans le cadre de l’audacieuse saison 2024-2025 de l’Opéra d'Amsterdam, ponctuée de créations et d’œuvres de répertoires confiées à des artistes d’aujourd’hui. 

Dans Peter Grimes, le personnage d’Ellen Orford interroge le rôle-titre Peter : « quel objectif, quel avenir, quelle paix tes durs profits achèteront-ils ? » Dans l’opéra de Benjamin Britten, Peter Grimes pense pouvoir être accepté par sa communauté en faisant ses preuves en tant que pêcheur, mais son obsession conduira à son aliénation et à son rejet par les autres villageois. Ellen Orford l’interpelle (et par là même, interpelle aussi le public) quant à « l’objectif, l’avenir et la paix » que ses actes pourront engendrer.

C’est à partir de ce triple questionnement que Sophie de Lint, la directrice artistique de l’Opéra d'Amsterdam, a composé sa saison 2024-2025 pour inviter le public à la réflexion : « Quels sont nos objectifs, quel avenir souhaitons-nous et de quoi avons-nous besoin pour nous sentir en paix avec nous-mêmes et avec les autres ? Nos luttes et nos efforts nous permettront-ils réellement de concrétiser nos rêves ? C’est ce qu’une thématique de saison peut faire : nous inciter à reconsidérer et remettre en perspective ce qui, de prime abord, pouvait nous sembler évident ». Forte de cette ligne directrice, elle propose quinze productions d'opéra, dont trois spectacles destinés au jeune public, des œuvres de répertoire (ancrée dans l'époque) et des nouvelles productions, confiées à de jeunes talents ou à des artistes plus confirmés.

Quel objectif ?

Quel est l’objectif d'un directeur ou d'une directrice artistique quand il ou elle compose d’une saison d’opéra ? Selon Sophie de Lint, créer des liens entre une équipe artistique, des artistes et une œuvre, au sein de productions susceptibles d’interpeller le public et de faire évoluer son regard sur la société.

Selon la directrice artistique, tous ces ingrédients sont réunis dans la nouvelle production de Peter Grimes qui sera donnée à Amsterdam en début de saison 2024-2025 : le chef Lorenzo Viotti est fasciné par la partition de Britten et pour porter ce projet, il souhaitait retrouver Barbora Horáková après leur collaboration en 2020 autour de la Missa in tempore belli de Haydn, alors que le ténor Issachah Savage considère le rôle-titre comme « un rôle de rêve ». Cette équipe artistique se mobilise autour d'une thématique : interroger les notions d’intégration et de rejet, et la façon dont « on appréhende ceux qui restent en marge de la société ».

Cette thématique autour de l’inclusion nourrit également la reprise de Rigoletto mise en scène par Damiano Michieletto : il y aborde le rôle-titre comme un être brisé et tourmenté, interprété ici par le baryton Roman Burdenko aux côtés notamment de René Barbera et Aigul Khismatullina, (une distribution renouvelée depuis la création de la production), tous confiés à la direction musicale de la jeune cheffe Yi-Chen Lin qui fera ses débuts à Amsterdam.

Même approche artistique pour la nouvelle production de La Femme sans Ombre : pour ancrer la fable de Strauss dans notre réalité contemporaine, l’Opéra d’Amsterdam fait appel à la metteuse en scène Katie Mitchell et au chef Marc Albrecht – il avait déjà dirigé l’œuvre en 2008 et souhaitait réitérer l’expérience de longue date mais le projet avait pris du retard du fait de la pandémie.

Quel avenir ?

Quid du futur de l'opéra ? La notion « d’avenir » dans le cadre d’une nouvelle saison lyrique fait écho à une double réalité : la prochaine génération d’artistes et le renouvellement du public. L’Opéra d’Amsterdam entend faire une place aux jeunes artistes, notamment ceux de son Opera Studio qui s’approprieront par exemple Didon et Enée de Purcell, sous la direction musicale de la jeune spécialiste du baroque Camille Delaforge à la tête de son Ensemble Il Caravaggio.

L’avenir s’envisage aussi sous l’angle du public et on sait l’Opéra d’Amsterdam très dynamique en matière d’accessibilité et de renouvellement du répertoire. Cette saison 2024-2025 n’y déroge pas. La maison lyrique s’est par exemple associée au centre d’art urbain Rightaboutnow Inc pour produire Lennox, le premier opéra de l’artiste ghanéen Bnnyhunna qui utilise ses influences jazz, gospel, afro et hip-hop pour composer une œuvre adaptée du livre pour enfant Lennox en de gouden sikkel afin de s’adresser autant aux familles férues d’art lyrique qu'à celles qui découvrent le genre (l'ouvrage est accessible dès huit ans).

Même volonté d’ouverture avec OUM, pièce de théâtre musical à la fois inspirée musicalement de l’œuvre de la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum et du roman Visage retrouvé de Wajdi Mouawad pour le texte. Le projet est confié à la metteuse en scène Kenza Koutchoukali et au compositeur Bushra El-Turk, qui entendent explorer « la profonde influence qu’Oum Kalthoum a sur nombre d’individus ayant des origines arabes, même aux Pays-Bas ». Selon Sophie de Lint, « sa musique est intrinsèquement curative ». Elle poursuit : « J'aime l’idée qu'elle soit le point de départ de cette production dans laquelle nous souhaitons fédérer les artistes, les cultures et les publics. Je crois que l’opéra est une forme d’art qui peut rassembler les cultures pour finalement créer une connexion, voire un sentiment de complétude ».

Des ponts entre les cultures, mais aussi des ponts entre les époques. Sophie de Lint ne veut pas simplement proposer des « recréations d’œuvres du répertoire », elle souhaite monter des « œuvres ancrées dans leur temps, par des artistes d’aujourd’hui ». C’est l’objet du Lacrime di Eros, par Raphaël Pichon à la tête de son ensemble Pygmalion et du metteur en scène Romeo Castellucci. Ils imaginent un dialogue entre la musique de la renaissance (la musique florentine du début du XVIIe siècle de Caccini, Peri ou Monteverdi...) et la musique électronique de Scott Gibbons « qui amplifie et déforme les sons des corps des interprètes pour explorer la passion humaine dans toute sa tendresse et sa cruauté ». Sur scène, le projet sera porté par la soprano Jeanine De Bique, la mezzo Katia Ledoux, le baryton Gyula Orendt et le ténor Zachary Wilder.

Et parce que l’Opéra d’Amsterdam entend aussi contribuer au renouvellement du répertoire via des commandes, l’établissement annonce la création de We Are The Lucky Ones, prochain opéra de Philip Venables, avec Ted Huffman et l’auteure Nina Segal. L’ouvrage est « l’histoire d’une génération », basée sur « une série d’entretiens de plus de 70 européens nés entre 1940 et 1949 (...) qui ont commencé leur vie avec peu, qui ont connu une amélioration constante de leur niveau de vie et qui laissent aujourd'hui derrière eux un monde où une telle croissance n’est plus durable ». Sous forme de théâtre musical, l’ouvrage entend explorer « des expériences individuelles et des changements sociétaux au cours de la décennie, soulevant ainsi des questions cruciales sur la relation entre le privé et le politique, les conséquences de nos choix et sur ce qui compte réellement ».

Quelle paix ?

Enfin, si les tensions et conflits sont traditionnellement au cœur du drame, l’aspiration à la résolution de ces conflits y est tout aussi déterminante – qu’on parvienne à les résoudre ou non. La saison 2024-2025 de l’Opéra d’Amsterdam questionne ainsi cette tentation de la paix et à quelles conditions. L’établissement reprendra par exemple Idomeneo dans la mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui qui nous avait enthousiasmés : après la Guerre de Troie, les personnages de l’opéra aspirent à la paix et au bonheur mais se heurtent au destin – ou à leurs actes passés. Peut-on surmonter les conflits du passé pour la paix d'aujourd'hui ?

Sophie de Lint évoque aussi Die ersten Menschen (Les Premiers Humains), l’unique opéra du compositeur Rudi Stephan, promis à un grand avenir mais mort tragiquement à l’âge de 28 ans pendant la Première guerre mondiale. Il y explore la « famille originelle » d’Adam et Ève. « On considère parfois la famille comme l’un fondement de la paix et de la quiétude, mais cet opéra évoque le fait que cette prétendue "pierre angulaire de la société" est aussi pleine de pulsions contradictoires qui conduisent inévitablement au conflit. Le titre de l’opéra en dit long : la lutte est aussi vieille que l’humanité elle-même ». Cette rareté sera donnée à Amsterdam en janvier 2025, dans une mise en scène de Calixto Bieito.

Sophie de Lint met l’ouvrage en perspective avec La Chauve-Souris de Strauss, opérette enjouée et réjouissante de prime abord, mais qui illustre aussi une société décadente et hypocrite – dans une mise en scène de Barrie Kosky pour une production donnée en décembre prochain et qui réunira notamment Lorenzo Viotti dans la fosse et sa sœur Marina Viotti sur scène. 

Enfin dans le contexte international actuel, l’Opéra d’Amsterdam cloturera sa prochaine saison avec Boris Godunov dans une mise en scène de Kirill Serebrennikov qui fait un parallèle entre l’opéra de Mussorgsky et la Russie contemporaine, pour mieux interroger « les projets politiques au détriment des peuples ». Vasily Petrenko assurera la direction musicale à la tête du Royal Concertgebouw Orchestra, et dans une distribution emmenée par Tomasz Konieczny.

Comme souvent, la programmation de l’Opéra d’Amsterdam ne manque pas d’audace – et manifestement, le public répond présent puisque l’établissement revendique une fréquentation en hausse. En attendant de découvrir si cette saison 2024-2025 maintiendra le niveau de fréquentation de la salle hollandaise, gageons qu’elle invitera au moins le public à la réflexion. D’ici là, la saison est détaillée à cette adresse, sur le site de l’établissement.

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