Le mouvement Black Lives Matter de l’année dernière a clairement fait comprendre l’ampleur du déséquilibre quant à la diversité dans toutes les strates de la société. La direction de l’Opéra national de Paris a ainsi souhaité faire un état des lieux des pratiques de son établissement sur ces questions pour une « meilleure représentation de la diversité de la société française », en commandant un rapport dédié à la Secrétaire générale de la Défense des droits Constance Rivière et à l’historien Pap Ndiaye. Une conférence de presse s’est tenue lundi matin pour révéler les contenus de cette étude, basée sur une méthodologie d’entretiens avec une centaine de personnes (salariés et représentants des organisations syndicales de l‘Opéra, ainsi que des acteurs du monde culturel ou politique) et une analyse de documents liés à l’histoire de la « Grande Boutique ». Pour le Directeur général Alexander Neef, « ce rapport n’est que le début d’un processus à long terme », et viendra se raccrocher aux initiatives déjà mises en place depuis plusieurs années.
Constance Rivière et Pap Ndiaye précisent leur démarche dans les premières pages de ce rapport : « Notre mission ne nous a donc pas semblé avoir pour objet de faire une place à des interrogations de société au sein d’une institution artistique, mais plutôt d’apporter une contribution à la définition du projet de l’établissement qui inclut pleinement la volonté d’ouvrir, de mieux représenter la diversité sur scène, d’interroger le répertoire et ses échos dans le monde contemporain, de favoriser un renouvellement des sens et des possibilités, et d’être exemplaire dans la politique globale des ressources humaines pour que les discriminations et propos racistes en soient bannis ». La diversité a donc été traitée au sens large, aussi bien au niveau des publics que de la production même des spectacles ou que du personnel artistique et administratif.
Concernant la programmation, Alexander Neef annonce qu’il n’a « aucune intention de supprimer ou de modifier les œuvres » problématiques du point de vue d’un livret ou d’un contexte historique représentant les non-Européens dans un exotisme devenu désormais inacceptable, et qu’ « il ne doit pas y avoir de confusion sur le travail mené ». C’est justement la créativité des artistes qui sera le moyen de donner une nouvelle perspective de compréhension des œuvres pour le public d’aujourd’hui, comme la production des Indes Galantes par le metteur en scène Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembelé l’avait démontré dans la saison 19-20. Si la question de la « vraisemblance » est apparue à de nombreuses reprises dans les entretiens menés par Constance Rivière et Pap Ndiaye, la technique du blackface ou du yellowface – grimer les interprètes pour modifier la perception de leur couleur de peau –, voire le blanchissement de la peau, sont bannis depuis plusieurs années pour les chanteurs comme pour les danseurs. La mission d’entretenir le répertoire passera aussi notamment par la valorisation de créateurs historiques méconnus (tels que le Chevalier de Saint George) et de créateurs actuels, issus de la diversité, pour que les spectateurs puissent s’identifier à ceux qu’ils voient sur scène. L’échange avec les équipes artistiques, en particulier pour les œuvres « qui pourraient poser problème » au regard des stéréotypes véhiculés sur les non-Européens, seront soutenues par un dispositif de médiation accru des artistes vers le public.
La question de la diversité concerne en outre le corps de ballet et de l’orchestre, mais l’accessibilité des concours demeure réservée aux connaisseurs. Les auditions de l’École de Danse n’ont actuellement lieu qu’en ses murs, à Nanterre, privant les personnes les plus modestes de concourir, et la très écrasante majorité des candidats s’avère blanche en raison de l’absence de modèles inspirants d’autres couleurs de peau. La culture de la musique classique n’étant pas très présente dans le système scolaire français, la composante sociale est centrale dans la fabrique des destins. Constance Rivière et Pap Ndiaye prennent l’exemple porteur d’espoir de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique, qui permet à des jeunes de 8 à 25 ans, de toutes origines sociales et non-musiciens au départ, de se tourner vers une formation artistique aux potentialités professionnalisantes. Le rapport suggère un jury plus paritaire et divers à l’École de Danse, et surtout plus à même d’aller identifier activement des talents hors de Nanterre, y compris dans les DOM et les TOM. Là où le déplacement des danseurs, instrumentistes et choristes est primordial dans les écoles et les quartiers pour esquisser l’éventualité de carrières artistiques, un accompagnement des parents pour faciliter le développement de leur enfant dans leur formation est par ailleurs préconisé.
Le département des ressources humaines de l’Opéra de Paris devrait entamer un travail sur le recrutement de collaborateurs aux origines plus diverses, malgré des outils de mesure actuellement très succincts (l’apparence des personnes). La double labélisation égalité et diversité obtenue en 2017 ne semble pas impliquer directement ce point (mais davantage « l’égalité femmes-hommes, le handicap, le harcèlement sexuel, les incivilités »), et les leviers d’action restent relativement faibles, notamment à l’égard d’artistes invités, de spectateurs ou de mécènes au comportement inapproprié à l’heure actuelle. Un poste de responsable diversité et inclusion pourrait voir le jour, ainsi que la création d’un véritable plan de lutte contre le racisme.
La prochaine production d’Aïda, diffusée en direct la semaine prochaine sur arte.tv, ne pouvait mieux tomber pour mettre en pratique ces enseignements.
Le rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris est téléchargeable sur la page d’accueil du site operadeparis.fr.
09 février 2021 | Imprimer
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