Alors que La Scala ouvre sa saison lyrique avec une nouvelle production de La Force du destin, c’est presque par hasard qu’a été retrouvé le livret original de l’opéra de Verdi, signé de la main de Francesco Maria Piave. Il témoigne de la collaboration entre le librettiste et le compositeur et est exposé à La Scala.
C’est presque par hasard que le manuscrit original du livret de la première version de La Force du destin a été retrouvé. Un particulier l’a simplement apporté à Laura Nicora, experte spécialisée dans l’authentification de documents musicaux anciens, pour une estimation – comme le hasard permet parfois de « retrouver des documents que l'on croyait détruits ou dont on ignorait même l'existence ». Elle a néanmoins rapidement saisi la valeur historique du document : 85 pages rédigées par le librettiste Francesco Maria Piave au cours de l’été 1861 entre Sant'Agata et Milan, qui attestent de la collaboration intense du librettiste avec Giuseppe Verdi pour imaginer la trame de La Force du destin.
La valeur historique du document tient notamment à la multitude de corrections et ratures, révisions et autres remaniements qu’on y trouve – incluant des commentaires et annotations autographes de Verdi, apportés à la plume, au crayon rouge ou gris. Si bien que la première page affiche la mention (d’une main inconnue) : « il convient de le conserver pour démontrer combien Verdi l'a fait travailler pour ce livret ».
Une collaboration intense entre Piave et Verdi
On trouve des annotations de Verdi dans les scènes 1 et 2 de l'acte I (qui sera réécrit plusieurs fois), une autre dans la scène 3, une autre encore dans l'acte II. L'acte III montre des modifications substantielles au texte du Rataplan (réécrit trois fois), et dans l'acte IV, les corrections de Verdi sont nombreuses également.
Certaines témoignent aussi de la superstition du compositeur. Dans le récitatif d’Alvaro de l’acte III, avant l'air « O tu, che in seno agli angeli », le texte original met dans la bouche du personnage la phrase « Fallì l'impresa » (l’entreprise est un échec) : une mention susceptible de porter malheur à une entreprise théâtrale, qu’aucun chanteur ou directeur de théâtre ne voudraient entendre. Si la mention apparait dans la première version de La Force du destin (qui reçoit un accueil mitigé à Saint-Pétersbourg en 1862), elle sera supprimée lors de la réécriture de l’œuvre pour la Scala en 1869, remplacée par « fu vana impresa » (c'était une entreprise vaine). Selon Raffaele Mellace, professeur de musicologie à l'Université de Gênes dont les propos sont rapportés par la presse italienne, le manuscrit illustre le travail minutieux du librettiste et les nombreuses réécritures du livret visant manifestement à « essentialiser le propos, à supprimer tout superflu pour mieux répondre aux besoins des scènes et de la musique ».
Une reproduction pour préserver le document original
Pour éviter que le document ne se perde de nouveau, ce livret original a été acheté par Carlo Hruby, entrepreneur et président de l'association culturelle italienne Musica con le Ali (qui œuvre pour préserver le patrimoine historique), afin de mettre le document à disposition des chercheurs et musicologues. À l’heure où La Scala ouvre sa saison lyrique avec une nouvelle production de La Force du destin (depuis ce 7 décembre), la maison scaligère a également été approchée, via son actuel directeur Dominique Meyer et son futur successeur Fortunato Ortombina, grand connaisseur de Verdi. Après approbation des autorités culturelles compétentes, les archives historiques et artistiques du théâtre milanais et l’Università Cattolica del Sacro Cuore de Milan (dont les laboratoires disposent de scanners de très haute définition) se sont attelées à la numérisation du document ancien.
Un travail réalisé en moins d’un mois, qui permettra d’éditer une copie intégrale du livret afin d’en mettre le contenu à la disposition des chercheurs, musicologues et autres amateurs de Verdi. D’ici là, quelques pages du document sont aussi reproduites dans le programme de salle de la nouvelle production scaligère de La Force du destin. Les bonnes feuilles de la version originale du livret de l’opéra de Verdi sont aussi exposées dans le musée de la Scala, à Milan, le temps que sera donnée la production, jusqu’au 2 janvier prochain.
publié le 10 décembre 2024 à 14h45 par Aurelien Pfeffer
10 décembre 2024 | Imprimer
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